Les vadrouilles de Charles Morin
L’écriture de Charles Morin capture des faits et des circonstances à coup de phrases-envols, de récits en bribes et soubresauts de la mémoire. Le réel est recomposé selon des rythmes slams, samplés et pop. L’auteur feint de dissimuler pour mieux montrer comme le proposent dans divers arts Grand Pianoramax, Schuhl ou Eustache (« maître » de l’auteur). Bref, ceux qui créent leur musique au sein de ce qui semble débridé mais qui de fait est très travaillé.
La littérature de Morin revendique le jeu du risque au sein de conversations intempestives, undergrounds. L’écriture devient une gaze sonore gorgée d’infimes signes rythmiques esquissés. Ils amplifient une marche forcée qui rappelle ce que Beckett écrivait dans L’Innommable : “Il faut continuer, je dois continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer”. Plus qu’une vadrouille au sein des villes et des images, apparaît une dérive existentielle. La « réduction » littéraire la dilate non dans mais à l’infini, jusqu’à l’évanouissement.
Chaque texte est une bande son ni de la vie, ni de la mort mais de quelque chose entre les deux comme si elle venait de partout et de nulle part au sein du vide et du silence, du bruit et des mots. Morin atteint un univers froid, sans lyrisme mais émotion et dans lequel surgissent des capacités d’envoûtement inconnues. Aux schémas vitaux de construction succèdent ceux de déconstruction où écrire devient un une musique du rien. Mais ce rien est tout. Il donne du relief à ce qui dans l’être est à la fois perceptible mais parfaitement inexplicable.
jean-paul gavard-perret
Charles Morin,
– Du pain et des Rolls
– Tokyo City Blues
Editions de la Salle de Bains, 2014, Rouen, 6,00 et 12,00 €