Une légèreté dans le récit, une gravité dans les propos
Erik Orsenna retient la forme du conte pour décrire un univers qu’il connaît bien, que ce soit celui de la politique ou celui de l’économie au sens large.
Dans un château de l’Ouest de la France, on rêve de retrouver la grandeur d’antan. Le domaine est au bord de l’Odet, un petit fleuve qui fait tourner un vieux moulin. Les deux permettent la fabrication d’un papier fin pour fumeurs. C’est en 1942 qu’un adolescent du château, lassé de voir son pays envahi, rejoint l’Angleterre. Il en revient en héros et un peu de grandeur habille la demeure. C’est à son neveu, né peu de temps après, qu’il va transmettre un appétit insatiable.
Un narrateur raconte les débuts de cet ogre, ses convoitises et ses proies, les complices dont il va s’entourer pour se repaître de morceaux de France.
Sans jamais écrire son nom, composé de trois syllabes et d’un prénom de deux, l’auteur décrit l’ascension d’un homme qui s’empare, par le biais des fusions-acquisitions et du corolaire mafieux qui s’y rattache, l’optimisation fiscale, de nombreux pions de secteurs économiques. Il œuvre dans des domaines industriels variés et jette son dévolu sur des secteurs où il pourra faire son autopromotion et celle de ses idées étroites.
Proposant de courts chapitres aux titres évocateurs, le romancier détaille le monde des rachats d’entreprise, ce monde de prédateurs qui se gavent du travail des entrepreneurs, aidés par celui la finance. Il retrace leurs fonctionnements avec les hordes de leurs composantes. Il raconte les tractations, les interventions de nombreux intermédiaires qu’il baptise de noms charmants comme les nécrophages, les présentant pires que des hyènes, les corbeaux noirs et tous les trafiquants grenouillant dans ces milieux.
Sont détaillées les manœuvres du monde de l’argent, celles des pseudos entrepreneurs qui ne savent qu’engloutir des entreprises sans jamais créer. Avec humour, impertinence l’auteur dresse de nombreux portraits truculents de personnages pouvant être très réels, d’hommes politiques avec leurs rapports à la finance dont un en particulier avec son acharnement d’enrichissement, un certain Nicolas Ier.
Il livre nombre de réflexions cocasses, de maximes, des sentences telles celle relative à la promesse de lendemains qui chantent mais qui ouvrent sur les pires cauchemars. Il donne une vision éclairante du capitalisme dénonçant ses pratiques soulevant des inégalités. Il rappelle que dans notre société plus les métiers sont inutiles, plus ils enrichissement ceux qui les pratiquent.
Pour décrire ce milieu nauséabond, le conteur use d’une belle dimension littéraire, d’une qualité d’écriture certaine, jouant avec humour de figues de style, d’un vocabulaire relevé et d’un art du conteur avec brio.
L’Histoire d’un ogre se lit avec plaisir pour l’humour des descriptions, la qualité littéraire et avec dégoût pour les pratiques si bien décrites.
serge perraud
Érik Orsenna, Histoire d’un ogre, Folio n° 7392, juin 2024, 192 p. — 7,40 €.