Une série de contes familiaux et modernes
Le monde où se déroulent les histoires des Cœurs de ferraille est peuplé de personnes mécaniques et de personnes organiques, en fait, des robots et des humains. Les robots sont si perfectionnés qu’ils assurent presque toutes les tâches, à l’image des esclaves dans des sociétés anciennes et encore, hélas, très actuelles.
Après Debry, Cyrano et moi qui raconte l’affection d’une enfant pour sa nounou de ferraille et L’inspiration où l’héroïne est confrontée à la créativité d’une Intelligence artificielle, le présent album propose un récit d’une belle intensité en sentiments et émotions autour de l’amour.
C’est à l’usine de Riverlin qu’une révolte éclate quand un ouvrier humain, pour briller devant une ouvrière qui l’asticote, démolit le robot qui assure le fonctionnement de la chaîne de fabrication. Il s’ensuit une bagarre généralisée que l’industriel fait stopper en faisant intervenir un Limier, un robot à la terrible réputation. Naiad, la fille de l’industriel, est fascinée par le monde des robots. Aussi, quand son père lui demande de ne pas sortir à cause du danger, elle s’empresse de désobéir et assiste, cachée, à la prestation du Limier. Elle est séduite par celui-ci, allant jusqu’à ressentir de l’amour, un sentiment qui semble partagé. Or, un tel rapprochement est inconcevable même dans cette société tolérante.
Seule Titanide, sa tante, semble prête à les aider. Mais celle-ci paraît avoir un lourd contentieux avec le père de Naiad…
Dans ce tome, les auteurs approchent un sujet qui, tout en étant futuriste, est empreint de romantisme. Si l’amour entre humains et machines a déjà fait l’objet de nombreuses histoires, le thème reste toujours d’actualité quand les uns et les autres cohabitent de manière aussi proche.
C’est aussi l’occasion de poser la question de la dissemblance, celle-ci étant souvent la cause de conflits, d’antagonismes entre nationalités, races, adeptes de sectes ou de religions… C’est aussi le moment d’évoquer la force que l’amour peut donner, son importance pour gommer des différences, des frontières artificielles. On trouve de magnifiques images pour l’illustrer, comme ce robot pratiquement inusable qui se laisse volontairement rouiller pour…
Mais les auteurs installent aussi une autre dimension, une fracture entre humains pour une raison à découvrir en une belle surprise. Ils approchent des classiques du genre comme Cyrano de Bergerac et La petite sirène.
Le dessin de José Luis Munuera et les couleurs de Sedyas donnent au scénario une puissance d’évocation peu commune. Si les personnages oscillent entre réalisme et caricature, ils ont toujours la bonne attitude. Donner vie à une population robotisée n’est pas spécialement facile surtout quand il faut faire exprimer des sentiments humains, des émotions à une face, par nature, immobile. Les décors sont à l’avenant que ce soit la représentation d’un espace urbain, une partie d’usine ou des cadres plus romantiques appuyant des moments sentimentaux. Les couleurs de Sedyas font merveille.
Cette série mérite amplement le détour qui, au-delà d’une première approche, se révèle beaucoup plus profond dans les réflexions et les thèmes abordés. Et le tout est servi par une mise en images admirable.
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serge perraud
BEKA (scénario), José Luis Munuera (scénario et dessin) & Sedyas (couleurs), Les Cœurs de ferraille — t.03 : Sans penser à demain, Dupuis, coll. “Tous Publics”, juin 2024, 72 p. — 14,50 €.