Emmanuel de Waresquiel, Il nous fallait des mythes. La Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours

La Révo­lu­tion et ses mythes

Emma­nuel de Wares­quiel, dans son der­nier ouvrage, ne se contente pas de remettre en cause les mythes de la Révo­lu­tion. Il s’attaque au mythe même de la Révo­lu­tion. Une œuvre de décons­truc­tion, dirait un mili­tant wokiste, pour s’en plaindre d’ailleurs! Il est vrai que les mythes n’ont pas man­qué et c’est à l’historien de les confron­ter à la réalité.

Ainsi, le ser­ment du jeu de paume, ins­crit dans le marbre du 20 juin 1789, ne pèse pas grand-chose face au coup d’Etat opéré trois jours plus tôt par les dépu­tés du Tiers-Etat quand ils se pro­cla­mèrent Assem­blée natio­nale. Non, la Bas­tille ne fut pas visée comme sym­bole de la tyran­nie royale mais pour ses barils de poudre, encore moins comme pri­son du peuple, elle qui ren­fer­mait les fils de la noblesse. Pas plus qu’elle ne fut “prise” puisqu’elle se livra d’elle-même aux insur­gés.
Quant à la cocarde tri­co­lore, sym­bole des extré­mistes révo­lu­tion­naires, dont l’absence de port vous condui­sait à la mort sous la Ter­reur, elle passa au fil des années du XIXème siècle dans le camp des répu­bli­cains conser­va­teurs. Évo­lu­tion iden­tique pour la guillo­tine, qui ne doit rien au doc­teur Guillo­tin:  de “sainte”, elle devint le sym­bole ter­ri­fiant des années ter­ribles. Et que dire de la mal­heu­reuse Marie-Antoinette, bouc émis­saire des péchés de la monar­chie, jugée comme femme et étran­gère? Une incar­na­tion exé­crée de l’Ancien régime, puis un sym­bole des hor­reurs sans nom de la Révo­lu­tion qui l’accusa d’inceste et l’humilia jusqu’au bout.

Bref, Emma­nuel de Wares­quiel fait une œuvre de salu­brité his­to­rique. Mais il va encore plus loin, dès sa lumi­neuse intro­duc­tion, en poin­tant du doigt deux carac­té­ris­tiques pro­fondes de la Révo­lu­tion, liées l’une à l’autre. Son carac­tère reli­gieux tout d’abord, comme une réplique du catho­li­cisme honni mais dont les écoles four­nirent moult révo­lu­tion­naires, et pas parmi les plus modé­rés! Ensuite sa nature tota­li­taire parce qu’elle se veut une reli­gion de sub­sti­tu­tion ; parce que “la nation une et indi­vi­sible de 1789 ne tolère ni oppo­si­tion ni dis­si­dence”; parce qu’elle veut créer un homme nou­veau et régé­né­rer l’humanité.
En pui­sant ainsi dans l’héritage chré­tien (en plus de Sparte et de Rome), la Révo­lu­tion se vou­lut Eglise. Elle se sacra­lisa elle-même. Ses oppo­sants devinrent des héré­tiques à éli­mi­ner, et ils le furent, jusqu’aux confins de la Ven­dée géno­ci­dée. Le ver était dans le fruit.

Un livre, on l’a com­pris, de haute volée intel­lec­tuelle, en tous points passionnant.

fre­de­ric le moal

Emma­nuel de Wares­quiel, Il nous fal­lait des mythes. La Révo­lu­tion et ses ima­gi­naires de 1789 à nos jours, Tal­lan­dier, 2024, 440 p. — 24, 90 €.

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