Arnaud Teyssier, Charles de Gaulle. L’angoisse et la grandeur

De Gaulle, la France et l’Etat

Des bio­gra­phies du géné­ral de Gaulle, il y en a eu, innom­brables, et il y en aura encore d’autres. Mais force est de consta­ter que celle pro­po­sée par Arnaud Teys­sier se dis­tingue aussi bien par l’élégance de l’écriture, la pro­fon­deur des ana­lyses que par l’étendue de la culture de l’auteur et sa maî­trise du temps long. Rien d’étonnant d’ailleurs de la part du bio­graphe de Riche­lieu, l’autre grand acteur de la construc­tion de l’Etat en France. Car c’est bien l’un des fils conduc­teurs de ce pas­sion­nant ouvrage.

La thèse d’Arnaud Teys­sier repose sur deux élé­ments, pla­cés en sous-titre : l’angoisse et la gran­deur. L’angoisse du patriote qui, très tôt, sai­sit la méca­nique du déclin fran­çais, la des­cente vers la déca­dence d’un peuple mal gou­verné par de mau­vais chefs et servi par de mau­vaises ins­ti­tu­tions, l’abandon de toute ambi­tion pour une France héri­tière des rois et des révo­lu­tion­naires. La gran­deur ensuite comme anti­dote à cette angoisse et que de Gaulle n’aura de cesse de pro­po­ser aux Fran­çais, tâche impos­sible à réa­li­ser tou­te­fois sans des ins­ti­tu­tions solides, capables d’incarner l’unité indis­pen­sable dont les héri­tiers des tri­bus gau­loises ont besoin. Tout se tient. Tout est lié chez de Gaulle “La source des grands désastres mili­taires, pour lui, est tou­jours poli­tique et morale.”

Arnaud Teys­sier, dans la recherche des racines intel­lec­tuelles du gaul­lisme, insiste sur l’héritage pré­gnant de Berg­son, de Clau­se­witz, de Riche­lieu, des mora­listes du Grand Siècle, mais sur­tout de Péguy, catho­lique et révo­lu­tion­naire, et moins de Maur­ras, même si l’auteur parle d’un “dia­logue silen­cieux” entre eux (et Bain­ville?). Toute sa vision de la France, de la guerre, de la poli­tique et des ins­ti­tu­tions en découle. Mais aussi celle de la société et de l’économie, thème sur lequel Arnaud Teys­sier insiste beau­coup et qui trouve son abou­tis­se­ment dans le pro­jet de la par­ti­ci­pa­tion, auquel le géné­ral tenait tant, en vain. De toute façon, rien n’était pos­sible sans un Etat fort et res­tauré, “les colonnes du Temple, l’armature sans laquelle nulle société n’est appe­lée à survivre.”

Sur plu­sieurs points, Arnaud Teys­sier se pose à contre-courant d’idées encore très pré­sentes. Il repousse l’hypothèse d’une ten­ta­tion sui­ci­daire après l’échec de Dakar en 1940, décrit Mai 1958 comme “un faux coup d’Etat qui per­met d’en évi­ter un vrai”, rejette la thèse du machia­vé­lisme dans le dos­sier algé­rien et ne croit guère à la dépres­sion et à la fuite du 29 mai, évo­quant plu­tôt un retrait pour mieux réflé­chir et un véri­table coup de majesté le 30 mai. Affir­ma­tions qui ne man­que­ront pas de ravi­ver les débats que la per­sonne autant que l’action du géné­ral de Gaulle ne cessent de géné­rer encore de nos jours !
Et on lira avec grand inté­rêt les pages consa­crées à la consti­tu­tion et au fonc­tion­ne­ment de la Vème Répu­blique tels que les vou­lut de Gaulle pour mieux les com­pa­rer avec la pra­tique actuelle du régime, laquelle ins­ti­tu­tion­na­lise l’impuissance et l’hyperprésidence.

On a donc affaire ici à grand un livre d’histoire, à une bio­gra­phie de très grande qua­lité, dont les ana­lyses nour­rissent la réflexion du lec­teur. N’est-ce pas le propre d’un tra­vail qui comptera?

fre­de­ric le moal

Arnaud Teys­sier, Charles de Gaulle. L’angoisse et la gran­deur, Per­rin, sep­tembre 2024, 649 p. — 26,00 €.

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