Frédéric Paulin, Les cancrelats à coups de machette

Quand tout dérape…

Le pré­sent roman est le der­nier volume d’une tri­lo­gie cou­vrant la période 2013 — 2016. Elle met en scène ces années pen­dant les­quelles les atten­tats ter­ro­ristes des isla­mistes radi­caux ont ensan­glanté la France.
Le pre­mier volet, 600 coups par minute (Goa­ter — 2014), relate la mon­tée en puis­sance d’un ter­ro­risme qui four­bit ses armes. Le monde est notre patrie (Goa­ter — 2016) confronte les héros aux atten­tats de Char­lie Hebdo et du super­mar­ché casher. Si, dans Les can­cre­lats à coups de machette, le roman­cier parle des atten­tats du 13 novembre 2015, il attache la quasi-totalité de son intrigue aux mas­sacres des Tut­sis par les Hutus au Rwanda entre avril et juillet 1994, au rôle trouble, très trouble, de la poli­tique fran­çaise et aux suites possibles.

Quand on découvre dans un champ d’Ille-et-Vilaine des mor­ceaux de corps humains, les auto­ri­tés dépêchent Jean Dante, un colo­nel de la gen­dar­me­rie rat­ta­ché à la BLAT. Il a en charge le dos­sier au niveau natio­nal car des corps en mor­ceaux ont déjà été retrou­vés dans l’estuaire de la Gironde, sur un ter­rain vague de la région pari­sienne. Il arrive en com­pa­gnie de deux per­sonnes qu’on lui impose. Un cer­tain Anton Tue-mouche, en ex-officier de l’armée qui a bour­lin­gué sur tous les lieux récents de conflits. Une Tut­sie d’une qua­ran­taine d’années Dafriza Rwi­gyema, pré­si­dente de Contre l’Oubli, une asso­cia­tion dont le but est de pour­suivre les res­pon­sables du géno­cide com­mis au Rwanda en 1994. Elle iden­ti­fie faci­le­ment les deux cadavres épar­pillés. Ce sont des Hutus au passé génocidaire.

Et le récit se déplace dans le passé, ce 6 avril 1994 vers 20 heures 30 quand un petit com­mando lance un mis­sile sol-air sur l’avion du pré­sident du Rwanda qui va se poser à Kigali. L’attentat est le signal du chaos, un chaos qui cou­vait depuis des années. Les tue­ries com­mencent. Les Hutus mas­sacrent les Tut­sis, hommes, femmes, enfants à coups de machettes, de fusils, de bâtons…
Fran­çois Gatama a quitté le quar­tier de Gikondo, et son amie Dafroza, pour livrer un match de boxe. C’est un jeune très pro­met­teur. Il gagne son com­bat contre son adver­saire Hutu. C’est le début d’une traque dont il est la proie. Quant à Dafroza, elle va tom­ber dans un piège et se retrou­ver dans un bor­del, livrée aux mili­ciens et aux soldats…

Si le récit débute en France quelque vingt ans après le géno­cide, une large par­tie relate les hor­reurs qui se sont dérou­lées en cent jours fai­sant plus de 800 000 morts sur une popu­la­tion qui ne repré­sen­tait que 20 pour cent de celle du Rwanda. Puis c’est l’enquête que va pour­suivre le trio pour retrou­ver celui qui sème sur le ter­ri­toire métro­po­li­tain des mor­ceaux de Hutus.
Fré­dé­ric Pau­lin offre un récit solide, docu­menté avec pré­ci­sion, igno­rant la langue de bois. Il livre une des­crip­tion de la situa­tion qui a menée à cette bar­ba­rie, les Hutus trai­tant les Tut­sis de can­cre­lats, de cafards, de Iyenzi. Il décrit les orga­ni­sa­tions sur place, les struc­tures Hutus qui ont mené les opé­ra­tions. Il décrit éga­le­ment la pas­si­vité des forces fran­çaises sta­tion­nées sur place, assis­tant sans inter­ve­nir à des tue­ries sous leurs yeux. Il rap­pelle éga­le­ment que nombre de digni­taires Hutus ont pu embar­quer dans les avions à des­ti­na­tion de la France. Il décrit une ven­geance certes tar­dive mais le temps n’efface rien des trau­ma­tismes vécus dans de telles cir­cons­tances. Il fait dire, avec un cer­tain cynisme, par un de ses per­son­nages, que 800 000 morts en cent jours, c’est un score plus mémo­rable que les 250 000 tués en 9 ans de l’ex-Yougoslavie.

Avec Les can­cre­lats à coups de machette, le roman­cier livre un récit choc qui montre jusqu’où l’ignominie humaine peut aller, les hor­reurs qui se déroulent sans que rien ne semble capable d’arrêter ces car­nages, les tueurs met­tant en avant de fausses excuses, des rai­sons bidon, se fai­sant pas­ser pour les victimes.

serge per­raud

Fré­dé­ric Pau­lin, Les can­cre­lats à coups de machette, Folio Poli­cier n° 1027, sep­tembre 2024, 272 p. — 8,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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