Philippe Conrad, 1914. La guerre n’aura pas lieu

Un autre scé­na­rio pour 1914 ?

Essai à la fois court et sti­mu­lant, le livre de Phi­lippe Conrad per­met de relire les évè­ne­ments qui ont conduit au cata­clysme de 1914 d’une manière tout à fait ori­gi­nale. On ne com­prend pas le déclen­che­ment de la guerre sans reve­nir plu­sieurs décen­nies en arrière. C’est en effet dans les grands pro­blèmes inter­na­tio­naux de la Belle Epoque que se trouvent les clés de com­pré­hen­sion, et les rai­sons pour les­quelles les grandes puis­sances se jettent à la gorge en août 1914. Tra­di­tion­nel­le­ment, l’historiographie en retient cinq : l’antagonisme franco-allemand, l’impérialisme colo­nial, les riva­li­tés éco­no­miques, la course aux arme­ments, la pou­drière des Bal­kans.
P
hilippe Conrad en reprend l’étude cri­tique mais en inver­sant les don­nées du pro­blème. Au lieu de répé­ter ce qui a déjà été écrit mille fois, il met en avant les élé­ments qui pou­vaient conduire à un scé­na­rio com­plè­te­ment dif­fé­rent de celui qui débou­cha sur la guerre. Le conten­tieux franco-allemand, sans être épuré, connais­sait une baisse d’intensité qui en fai­sait un pro­blème parmi d’autres de l’Europe, et loin d’être le plus aigu. Une mul­ti­tude d’accords per­met­tait de consi­dé­rer les riva­li­tés colo­niales comme réglées, à tel point que le Royaume-Uni s’entendait avec l’Allemagne sur des par­tages ter­ri­to­riaux. La force du paci­fisme, dans de larges sec­teurs des opi­nions publiques, com­pen­sait la course aux arme­ments – sur­tout navale comme le rap­pelle l’auteur avec jus­tesse. La mon­dia­li­sa­tion déjà à l’œuvre imbri­quait les éco­no­mies les unes dans les autres, favo­ri­sant les rap­pro­che­ments entre acteurs éco­no­miques. Quant aux Bal­kans, la répé­ti­tion des crises depuis le XIXe siècle lais­sait pen­ser que le meurtre de Sara­jevo, le 28 juin 1914, n’entraînerait pas de com­pli­ca­tions européennes.

Cest tout l’intérêt de ce livre que de rap­pe­ler que l’histoire n’est pas iné­luc­table. Elle demeure impré­vi­sible, écrite seule­ment par les his­to­riens une fois les évè­ne­ments réa­li­sés. N’importe quelle logique poli­tique peut être enrayée par un acci­dent inat­tendu, un épi­sode for­tuit, ou tout sim­ple­ment suivre son cours. L’incompétence de Gavrilo Prin­cip et de ses com­plices auraient dû per­mettre à la voi­ture de François-Ferdinand de pour­suivre sa route. Il en fut autre­ment. Pour­quoi ?
L
’his­to­rien ne peut pas tout expli­quer. Mais, comme le fait Phi­lippe Conrad, il doit rap­pe­ler que lorsque les déci­deurs perdent la maî­trise des évè­ne­ments, cela peut débou­cher sur un cataclysme.

fre­de­ric le moal

Phi­lippe Conrad, 1914. La guerre n’aura pas lieu, Genèse édi­tion, mars 2014, 196 p. — 22,50 €

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