Véronique Bergen, Moctezuma

De pierre et du soleil

Ce roman est celui des appa­ri­tions de mondes incon­nus et décou­verts en une langue d’exception. Dès les pre­mières lignes : « Au-dessus du vol­can Itac­te­petl, dans le ciel pâle, les dieux se battent. Les poings de Tla­toc déclenchent la foudre qui tombe sur les esprits jaguars. Age­nouillée aux côtés de son panier d’amarantes, une pay­sanne entonne une prière étouf­fée par les gron­de­ments de l’orage. », nous sommes aus­si­tôt plon­gés dans une sorte de fée­rie tra­gique qui vient à réma­nence à toute une lignée de la lit­té­ra­ture sud-américaine dont Miquel-Angel Asturias.

Néan­moins, au milieu voire au-delà « des hommes de maïs » , appa­raît grâce à Véro­nique Ber­gen un héros méconnu : Moc­te­zuma. Contrai­re­ment à son image de l’Histoire, il est relé­gué comme chef d’un État vaincu, faible et indé­cis. L’auteure le méta­mor­phose ou le res­ti­tue dans une vérité.
En guise de son hom­mage et bien plus, Véro­nique Ber­gen déplie un feuille­tage d’histoires et de contes là où la fas­ci­na­tion poé­tique d’une telle prose nous sai­sit. Par exemple, « des divi­ni­tés chif­fonnent les nuages, « se plante le jour du cro­co­dile dans le jour du condor » et « Sans la danse du peyotl, la lumière fane, perd sa peau de jeune fille ». Tout ce qui arrive est en quelque sorte magni­fié et semble un hors du monde. Mais nous éprou­vons le plai­sir de l’habiter par la grâce de celle qui devient– bien plus qu’historienne ou bio­graphe — cha­mane et magicienne.

Nous voici au pays des Tzit­zi­mimes venus du ciel selon la légende, créa­tures mi-hommes, mi-cerfs. Mais, à la langue d’un lézard rose, répond celle de la roman­cière qui nous fait entrer dans le chaos d’un tel monde hir­sute, bous­culé, coloré, grouillant là où les quatre élé­ments se conjuguent en un réa­lisme magique de haute tenue.
En ces temps éloi­gnés, des dieux pro­tègent le peuple pre­mier même si tout reste en « sus­pens » du sinistre. La détresse, entre mondes et infra-mondes et en divers cultes, est gra­vée par un des pos­sibles pré­textes : celui de l’envoi par divers dieux (du cru puis importé) de châ­ti­ments. Des enva­his­seurs (Cor­tès com­pris) font au besoin le reste du tra­vail céleste : des conquis­ta­dors déposent des chif­fons impré­gnés de germes de mort dans des endroits stra­té­giques. Tous les moyens sont bons pour rem­por­ter la victoire.

A mesure que le temps passe dans ce qui sera bien plus tard le Mexique, des croi­se­ments de poli­tiques trouvent la façon de remer­cier Dieu quitte à exter­mi­ner de nou­veaux venus au grade d’empereur – Cuit­la­huac par exemple. Plus le roman avance, plus  la fin de l’Empire aztèque et la des­truc­tion des civi­li­sa­tions pré­co­lom­biennes par la conquête espa­gnole sont là. L’auteure fait de Moc­te­zuma son nar­ra­teur qui ris­qua de finir sur la pierre des sacri­fices. Il osa tout face aux nou­veaux maîtres qui ne furent pas des libé­ra­teurs. Il les appelle des monstres et face aux guerres il tient à ce que le sens de la vie est l’amour. Si bien que der­rière ce roman se dévoile un pos­sible d’un sens caché et réel du futur.

La force poé­tique de Véro­nique Ber­gen emporte l’existence et la voix de ce héros qui mit sur lèvres une pierre « dont les striures forment une figure sacrée », afin que se confirme la gran­deur aztèque même lorsqu’il règne sur des ruines. Lucide, Moc­te­zuma sait que des hommes ont gagné « par la fièvre de l’amour, la musique du peyotl et des songes ». Croyant à l’ascension, il voit les Espa­gnols ten­ter sor­tir des eaux troubles des maré­cages mais ils sont, noyés, des morts qui rever­dissent. Le « Prince » déchu a com­pris qu’en guise de « happy-ending » les exter­mi­na­teurs de son peuple — à savoir les monarques espa­gnols, catho­liques – ont ouvert son peuple à la misère. Et de nous rap­pe­ler sa sagesse : « Qui convoite l’or se change en pou. Qui fait de l’or son seul dieu finit pul­vé­risé, fondu dans les mâchoires du vide. Qui mange la Terre, le Soleil sera dévoré ».

Cette saga des blancs contre les Indiens — là où tout est mis au pas qui ne vit que libre — devient le pré­lude à d’autre géno­cides. Moc­te­zuma reste habité, contrai­re­ment à sa légende mièvre, tel un pré-Machiavel animé de la Furor Poe­ti­cae contre l’Horror Vacui. C’est donc un pri­mi­tif du futur face aux tueurs « se repro­dui­sant comme des mouches, débar­quant par mil­liers n’auront rien com­pris jusqu’à gri­gno­ter le royaume des morts en creusent leur sépulcre ».
Dès lors — via son auteure – existe dans sa pro­phé­tie un espoir, un souffle dont la résur­rec­tion du Mexico-Tenochtitlan parie sur les ailes chaude du Soleil pour se recons­truire. Mais c’est bien là le pro­blème que dis­tille Véro­nique Ber­gen : l’appel de Moc­te­zuma crée un sérieux bémol pour ce qui arrive à la terre dite promise.

jean-paul gavard-perret

Véro­nique Ber­gen, Moc­te­zuma,  édi­tions mael­strÖm reE­vo­lu­tion, Bruxelles, 2024, 160 p.

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