Chaque portrait d’Alain Hoareau n’est ni celui d’une oie blanche ni d’une cruche. Chacune reste un Phoenix qui tient d’un quasi prodige et dont les appâts prennent une dimension sidérante. Les rêves n’ont plus rien de faméliques. Mais leur lustre rend le bouc novice. Il n’a plus la tête pleine de sanies. Faute de faire bombance de ses rognons, il hallucine à la vue de ces femmes qui se contentent d’exister devant ses cornes.
L’auteur s’en amuse. Eros n’est pas en berne. Il est là qui remue de plus en plus. Il ne s’agit plus de montrer le corps mais ce qui l’agite là où il ne s’agit pas de se rincer l’œil mais de mesurer ce qui échappe au-delà de son iris. Le voyeur-amant se retrouve avec, à ses trousses, des spectres féeriques qui n’ont rien de victoriens. Et parfois, il implore de l’aide pour s’en délivrer tout en promettant des ex-voto par l’intersection de la créatrice transformée en pratiquement Sainte Sexo tout en lui assurant une éternelle – ou provisoire – reconnaissance.
C’est pourquoi Hoareau remodèle sans cesse ses personnages. Qu’importe si la fusion dans le réel n’est pas au rendez-vous. Mais ce ne sont pas forcément les Madame Edwarda du futur qui font partie de telles histoires. Simplement, celle à qui on voulut retirer la langue la tire à son tour. Et elle brouille les cartes qui donnent de l’atout.
Des mots montent à la surface. Leurs bulles crèvent et ça donne un air de fête. Les corps dansent sur des fils avant de s’envoler dans des gazouillis d’oiseaux. L’auteur tire les rideaux, les ficelles. Sans donner des explications, déplier des raisons. Mais les femmes de fait deviennent des orgues à prières. De Dieu, elle ne redoute pas le tonnerre. Et au besoin, le cochon en lui, elles savent le réveiller.
Alain Hoareau se permet des incartades féériques pour ses opérations — entendons ouvertures. L’exquise douceur de cinq femmes (et deux intrus) se déploie selon une étrange pulsion scopique avec un art accompli d’une narration dont la simplicité est source d’ironie. Ce sont les manière de renverser le magique de certains dans des soupes de fèves.
Existent aussi cinq jeux de l’amour et de hasard où, après tout, des sortes de tricheries plus ou moins induites deviennent familières là où Hoareau peut trouver licence à projeter ses fantasmes à son gré en cernant de lauriers celles aux âmes un rien tyrannique, loin de la tradition occidentale du portrait chimériques des chiquenaudes fabuleuses et d’une incarnation d’une mythologie moins bestiale que bestiaire.
Les blanches nymphes offrent toutefois, entre abandon et une certaine résistance, de quoi supporter le zoo qui peuple l’intérieur de potentiels amants dont le fond est douteux vu une certaines suite de paramètres très différent suivant de telles histoires. Si les véganes s’abstiennent, ce n’est pas pour autant afin de manger leur loup.
De telles comtesses aux pieds nus (ou non) ne sont pas de celles qui ont péché et n’ont même pas l’idée de prier la Vierge Marie, les anges et tous les Saints. Pas question de pénitence : elles ignorent une forme de repentance à couleur de raison. Si bien que de telles histoires montent à l’assaut des contes reçus. Et l’auteur ne rate pas sa cible. Il aime vaquer dans un monde quotidien qui grouille où les occupant(e)s sont tout de même particulier(e)s.
Ce ne sont pas des anges. Et l’adoration du lecteur est remisée. Il comprend de qui les belles sont captives dont l’otage (l’auteur lui-même) sait qu’elles lui proposent son propre miroir. Mais ce type de sirènes ne sont pas marquées d’étoiles de mère. Tout un peuple intérieur les chevauche. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les femmes soient des frivoles soumises.
Alain Hoareau rappelle donc qu’il existe toujours de belles surprises dans une belle (ou non) personne. Mais son miroir est profond. L’auteur est drôle et cela permet à son « moi » d’être moins un seul que multiple. Chaque femme le transforme en devenant « expectatrice » du mâle.
Néanmoins, son sexe n’hurle pas famine même si les histoires sont tout sauf pieuses. Mais l’inconscient de l’auteur trouve un interstice où l’amour devient une histoire de fondements et de fondations. Le corps n’est pas seulement mis à nu : il devient corpus et chose extraordinaire au milieu de « grincesses » et princesses (et deux adjoints sémillants) pas forcément du monde des éthers.
Chaque femme (comme son créateur) vit d’autres vies et une résurrection. Sortent de son corps des trésors imprévus dont nul ne sait de quelle réserve ils parviennent jusqu’à nous. Mais Cendrillon, Louise et les autres n’ont guère besoin de fard et de rouge à joue pour imposer leurs métamorphoses. Elles sont l’inverse de mystifications.
lire notre entretien avec l’auteur
jean-paul gavard-perret
Alain Hoareau, Cendrillon, c’est moi, Editions Unicité, 2024, Saint-Chéron, 108 p. — 13,00 €.
Et soudain tout ce que le récit contenait et que nous ne « savions pas ». Vous savez débusquer le dit et le non dit et de l’auteur et de ses personnages. Depuis toujours je vous lis Jean-Paul Gavard-Perret et à chaque fois l’envie folle d’aller vers le livre dont vous parlez et si je l’ai déjà lu, courir pour relire à la lumière de ce que vous y avez « lu/vu ». Merci
Je tiens à vous remercier sincèrement.
Voilà des mots qui élargissent la perception qu’on peut avoir d’un livre. Vous ouvrez des portes en traquant les mystères ou l’inconscient d’un auteur. Comme il est , j’en suis convaincu, que tout ce qu’on entreprend nous dépasse. Voici donc le nécessaire écho de l’autre.
Encore une fois mille mercis.
Alain Hoareau