Serge Brussolo, Le Suaire écarlate

Une étude socié­tale du Moyen Âge à tra­vers un brillant thriller

Serge Brus­solo maî­trise si bien toutes les règles du thril­ler, qu’il en jongle pour des intrigues tou­jours sur­pre­nantes. Et, lorsqu’il les conjugue à un thème his­to­rique, il se sert, avec brio, des élé­ments quo­ti­diens pour faire sourdre angoisse et fan­tas­tique.
Au Moyen-âge, le Royaume de France est sous la coupe de l’Église catho­lique. Celle-ci impose des règles tyran­niques, comme l’excommunication, et uti­lise des fana­tiques qui par­courent le ter­ri­toire semant leur che­min de bûchers. Parmi eux, Jôme le Noir est un exor­ciste par­ti­cu­liè­re­ment actif qui répand la ter­reur par­tout où il passe. Il est appelé au che­vet d’une jeune vierge dont le corps, après avoir brûlé entiè­re­ment, s’est régé­néré. Il est cou­vert d’écritures en ara­méen et son sang à le pou­voir de gué­ri­son. Jôme voit l’opportunité de se his­ser dans la hié­rar­chie en rap­por­tant celui-ci pour l’usage de quelques hauts digni­taires de l’Église. Il la saigne et recouvre son corps d’un drap qui imprime alors la forme du corps de la vierge, un suaire que Tite, son âme dam­née, emporte.

L’intrigue se pour­suit vingt ans plus tard, quand Wal­lah a perdu son don d’archère infaillible, avec la mort de La Murée, sur un bûcher de Jôme. Mal­vers de Pon­sar­rat, le sei­gneur qui l’employait, la libère de ses obli­ga­tions de tueuse. Seule, elle rejoint les res­ca­pés du groupe de bala­dins mené par Bézé­lios (voir La Fille de l’Archer – 2013). C’est elle, avec l’argent de ses mis­sions, qui les fait vivre. Or, elle n’a plus que des éco­no­mies qui fondent. Bézé­lios constate que la fer­veur reli­gieuse, pour des reliques répu­tées mira­cu­leuses, génère beau­coup d’argent. Il a l’idée de mon­ter une escro­que­rie. Il invente un saint dont le crâne chante et met en place toute une pro­cé­dure, y com­pris quelques « miracles », pour vendre cette relique à une confré­rie de mar­chands leur fai­sant miroi­ter des pro­fits sub­stan­tiels avec les foules atti­rées.
Le comte Arno de Lowen­bach suit leurs exploits depuis quelques temps. Il est très inté­ressé par leurs talents de faus­saires. Il a besoin d’eux pour faire revivre le Suaire écar­late. Mais, ne sont-ils pas tom­bés dans un piège ter­rible, avec ce comte qui les consi­dère comme des pri­son­niers, avec cet étrange Japo­nais qui connait trop de choses dans les domaines hérétiques ?

Dans ce décor moyen­âgeux, Serge Brus­solo s’attache à retrans­crire l’esprit, l’atmosphère qu’il y régnait, où se côtoyaient le mer­veilleux et l’horreur, le reli­gieux et les super­sti­tions dans des popu­la­tions que la séden­ta­ri­sa­tion ren­dait encore plus cré­dules. Il bâtit une large part de son intrigue sur l’ignorance où est main­tenu le peuple, dans le besoin de croire à l’extraordinaire, dans l’espérance de situa­tions et d’un futur meilleurs. Il fait pla­ner un dan­ger généré par la struc­ture socié­tale, par l’environnement, et sur­tout par l’Église qui veut tout régen­ter de la vie des popu­la­tions. Il dresse alors un état des lieux effroyable sur la capa­cité de ces reli­gieux à faire régner la ter­reur, bien que se reven­di­quant d’un dieu qui énon­çait : “Aimez-vous les uns les autres”. Il expli­cite la façon dont les hommes d’église s’infiltrent dans les esprits, imposent un refus de tout pro­grès, que ce soit dans le domaine des sciences, dans celui de la méde­cine où des idées nou­velles. Il décrit, éga­le­ment, la vie de prêtres douillet­te­ment ins­tal­lés au cœur de popu­la­tions, pro­fi­tant du sta­tut que leur donne la reli­gion pour s’engraisser. Il place, dans ce théâtre, quelques élé­ments sub­ver­sifs, qui vont jouer les tru­blions, trou­bler cet équi­libre.
Brus­solo expose la vision reli­gieuse de la femme, la femme qu’il faut abso­lu­ment muse­ler, main­te­nir à l’écart, presque en escla­vage. On retrouve tout ce que les « grandes » reli­gions imputent aux femmes, la peur qu’elles engendrent dans tous ces cler­gés, cette peur incom­pré­hen­sible de l’autre sexe qui s’exprime en les dépei­gnant comme une entité néfaste à l’homme. D’où l’invention de l’être impur, res­pon­sable, depuis le début de l’humanité, de toutes les cala­mi­tés. Le roman­cier truffe son récit de réflexions acerbes sur la nature humaine, sur le com­por­te­ment des per­sonnes. Ainsi, sur les rela­tions avec les autres : “…on ne connaît jamais per­sonne. Les êtres qui nous entourent demeurent un mys­tère.”, sur la foi : “Ils ont beau rado­ter (les prêtres) sur le para­dis, la mort les ter­ri­fie”… Outre son art de conce­voir des intrigues où l’angoisse le dis­pute à une ten­sion nar­ra­tive, Serge Brus­solo donne une véri­table leçon de science sociale de l’époque, mon­trant les mani­pu­la­tions de toutes natures.

Avec Le Suaire écar­late, ce roman­cier inclas­sable conti­nue de nous enchan­ter avec ses récits uniques, ces intrigues angois­santes à sou­hait et ses des­crip­tions sans fards de la société.

serge per­raud

Serge Brus­solo, Le Suaire écar­late, fleuve édi­tions, février 2014, 300 p. – 18,50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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