Le fond de l’effroi ou l’image de la mère
Ayant « fait » son petit, la mère de La Chambre morte ne lui donna pas la vie mais la mort. Et ce, à travers la sienne, continuellement scénarisée et hystérisée en des suicides avortés avant le bon (si l’on ose dire…). Cela ouvrit le narrateur (l’auteur) à une hypothèse des plus douteuses quant à la possibilité d’une existence propre face à une mère autant aimée qu’haïe (non sans cause). Si bien que Lair aurait pu faire siennes les paroles du « héros » de L’Innommable : “Je cherche ma mère, pour la tuer, il fallait y penser plus tôt, avant de naître”. Il n’existe toutefois pas de fantasme de toute puissance ni de paradis préœdipien narcissique chez Lair. Il n’est livré par la mère qu’à une errance et une prostration dont ce livre signe la fin comme il marque la sortie des répétitions d’un passé lointain au nom d’une mère qui suscita la dépendance dans un dialogue imaginaire et vain avec elle. Au nom aussi des pères (celui de la queue et celui de la responsabilité) qui se cachent derrière plus visibles dans Aïeux de misère.
Les deux livre proposent une distanciation susceptible d’évoquer enfin de manière frontale celle dont le fils maudit devint le miroir. Mais La chambre morte reste plus explicitement celui de la mise à mort désirée et toutefois intolérable de la mère qui laissa si longtemps le narrateur perdu dans le vide ou dans le noir — ou si l’on préfère la crudité d’un des narrateurs beckettiens « dans la merde ». A la Chambre claire de Barthes (qui en savait pourtant beaucoup sur la Jocaste terrorisante) répond celle plus sombre de Lair. L’écrivain trouve enfin une position de maîtrise de la parole à travers une violence, une horreur et une jubilation par les mots ouverts « grâce » à celle qui devient enfin l’absente.
L’auteur en multiplie la vision qui rappelle celle d’un autre personnage beckettien : l’enfant de « La fin » (in Nouvelles et textes pour rien ). Levant la tête vers le ciel bleu, il demande à sa mère comment cette couleur est possible, ce à quoi répond la mère un : “fous-nous la paix”. En contrepartie, le héros de Lair doit se « farcir » les jérémiades maternelles qui l’empêtrent dans des rapports inextricables. Fort jusque là de son amour ambigu, parfois quasiment incestueux, le narrateur de Mathias Lair s’ouvre enfin au vivant. Il peut enfin croire à une vie future. Bref, il sort du désœuvrement.
Ce livre est donc là clé qui lève l’écrou de l’ « incompossible » là où l’image première s’efface au sein d’une chambre noire où ne se fomenteront plus d’inaltérables répliques. D’autres formes surgissent enfin au moment où le narrateur sort de la fusion-confusion dont il avait conscience sans pour autant pouvoir la neutraliser, rivé en un double processus de dépendance et de culpabilité. L’odyssée de l’espèce peut enfin débuter là où le livre s’achève. Il finit par ces mots : « Nous sommes dans ce que nous sommes. Tant que cela durera, la vie ».
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jean-paul gavard-perret
Mathias Lair,
- La chambre morte, Editions Lanskine, coll. Format libre,2014, 112 p. — 10,00 €
- Aïeux de misère, Editions Henry, 2014, 156 p. - 10,00 €