Sandrine Collette, Un vent de cendres

Une réus­site en matière de thril­ler psychologique

Sandrine Col­lette met en scène des soli­taires, des êtres qui se tiennent à la lisière de la société. Dans Des nœuds d’acier, son magni­fique pre­mier roman, la soli­tude des pro­ta­go­nistes était impo­sée par leur situa­tion dans un coin isolé de nature. Dans le pré­sent livre, la soli­tude est vécue dif­fé­rem­ment. C’est un retrait volon­taire, une exclu­sion presque iné­luc­table après le trau­ma­tisme subit. Celui-ci amène un repli sur soi pro­vo­qué par le sen­ti­ment de culpa­bi­lité, par la res­pon­sa­bi­lité de la mort de l’être cher. La trame du roman évoque, entre autres, un retour vers les autres, un che­mi­ne­ment vers un pos­sible futur.

Il y a dix ans, Andreas, au volant de son auto­mo­bile, com­met une impru­dence qui coûte la vie à Laure, sa com­pagne, et mutile Octave. Depuis, les bles­sures phy­siques ont cica­trisé, mais le choc moral n’a rien perdu de sa force. Andreas vit en reclus, lais­sant à Octave, le corps cassé, le visage défi­guré par une cica­trice, ne se dépla­çant qu’à l’aide d’une canne, le soin de la vigne et la ges­tion du domaine au cœur de la Cham­pagne. Malo, à l’issue de ses études, s’est laissé convaincre par Henri, qui lui vante depuis long­temps le charme des ven­danges. Il entraîne Camille avec lui, sa jeune sœur sur qui il veille, pour une semaine. L’arrivée de Camille est un choc pour les deux muti­lés. Elle res­semble trop à Laure.
Octave sort peu à peu de sa réserve et s’intéresse à elle, ce qui irrite Andreas et sur­tout Malo, qui inter­vient. Celui-ci a ren­con­tré une jeune ven­dan­geuse, d’un autre domaine, et passe une par­tie de ses nuits avec elle. Un matin, il ne rentre pas. Camille s’inquiète car il ne répond pas aux nom­breux mes­sages qu’elle laisse sur son télé­phone por­table. Henri tente de la récon­for­ter et raconte que le carac­tère entier de Malo l’a déjà poussé à tout lais­ser der­rière lui, sur un coup de tête, qu’il réap­pa­raî­tra pro­chai­ne­ment. Pour­tant Camille ne se ras­sure pas. Une sourde angoisse l’étreint, mal­gré l’investissement per­son­nel qu’elle met dans son tra­vail. Octave est de plus en plus pré­sent et les rela­tions entre les deux prennent un tour étrange, une évo­lu­tion qui n’est pas du tout du goût Andreas qui tient Octave sous sa coupe tyran­nique. Et Malo qui ne donne tou­jours pas signe de vie. Que fait cette branche, plan­tée dans l’étang du domaine, à un endroit où il n’y a pas d’arbre ?

L’auteure construit des per­son­nages rares, aux pro­fils tor­tu­rés à sou­hait et en dresse des por­traits superbes. Elle les met en scène de belle manière. Elle fait par­ta­ger, pour Camille, l’inquiétude qui s’installe, l’anxiété qui monte jusqu’à l’angoisse, avec la dis­pa­ri­tion de son frère. Elle montre les ten­ta­tives de la jeune fille pour cer­ner une vérité, l’évolution de ses sen­ti­ments vis-à-vis d’Octave, sa soli­tude dans sa quête, son iso­le­ment dans un milieu nou­veau, cou­pée de siens. Paral­lè­le­ment, San­drine Col­lette décrit, avec jus­tesse et per­ti­nence, les atti­tudes et les émo­tions d’Octave, celles Andreas. Elle raconte le che­mi­ne­ment d’un retour vers une vie sociale, avec les peurs, les doutes, les volte-faces d’une gueule cas­sée dans un monde où les dik­tats d’une cer­taine beauté sont domi­nants.
Si elle consacre une large part à l’introspection des héros, elle met en place dès le début les élé­ments de ten­sion d’une intrigue dont elle fait mon­ter la pres­sion jusqu’à un final éblouis­sant. Elle appuie son récit sur les émo­tions humaines fortes, sur les psy­choses qui peuvent se mani­fes­ter après des trau­ma­tismes, sur des dérè­gle­ments de per­son­na­li­tés, sur le besoin d’amour et sur la crainte d’un rejet total allant jusqu’à la folie.

Ses héros par­tagent la vedette avec la nature qui est omni­pré­sente dans le cours du récit, que ce soit dans la des­crip­tion des ven­danges ou du domaine. Elle fait vivre une semaine de ven­dange où les fatigues d’une acti­vité phy­sique inha­bi­tuelle entraînent des réac­tions pas tou­jours contrô­lées, réac­tions qu’elle intègre comme élé­ments de péri­pé­ties dans son intrigue. San­drine Col­lette offre, à nou­veau, un roman fort, puis­sant, à l’intrigue sub­tile, jouant avec la vio­lence et l’intensité que peuvent prendre des sen­ti­ments. Ce livre répond à toutes les attentes moti­vées par le superbe Des nœuds d’acier. Et, si l’on se base sur le dic­ton popu­laire : “Jamais deux sans trois.”, nul doute que le pro­chain livre de cette auteure par­ti­cu­liè­re­ment talen­tueuse, sera dans la lignée des pré­cé­dents. Donc un futur régal de lec­ture en perspective.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Un vent de cendres, Denoël, coll. “Sueurs froides”, février 2014, 272 p. – 18,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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