Si loin, si proche
Ce « nouveau » roman serait traduit du grec moderne, de l’allemand, de l’anglais (entre autres) par un polyglotte : Sylvain Siproche (dont le vrai nom et c’est un scoop est : Sylvain Deletang). Le narrateur est invité à passer la soirée d’un Noël dans la famille berlinoise de la jeune femme qu’il espère séduire. Assis au milieu d’une grande tablée polyglotte où se mêlent famille et relations, il ne tarde pas à découvrir que certains, disparaissanr, semblent n’avoir jamais reparu. A mesure que se succèdent des plats pantagruéliques, un horrible soupçon vient tourmenter notre héros dans une escalade de quiproquos et d’effroi. « Angoisse, sexe et paprika sont les ingrédients de ce réveillon de Noël à l’humour absurde.»
Selon le journal roi (Lear Magazine), “Artur Christos est à l’autofiction ce que Christine Angot serait au polar : une erreur de casting.”. Et le vrai auteur de s’en repaître cash. Nous apprenons à la fin cette information cruciale : « je vous rappelle que nous sommes en pleine autofiction et que je dois ce renoncement à la retranscription de la vérité pure, qui m’oblige également à compléter la scène par un baiser final – cliché que je récuse personnellement ».
Certes, ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé seraitt fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence. Tout est donc en place. Ou à côté. Rien étant probable c’est ce que se dit de l’auteur qui n’a jamais cessé pas d’échapper aux faits et plus exactement d’un banquet si peu platonicien. Le faux auteur a un prénom comme hommage de sa mère à Schopenhauer. Preuve qu’un tel monde est de pure représentation (douteuse) et de volonté (velléitaire) mais surtout la plus abominable et appétissante des farces.
Qu’on se rassure : l’autobiographie est une pure fiction de l’affliction librement inspirée par le soi-disant traducteur qui vécut un amour assez proche d’être le premier. Arthur Cristos a, selon son auteur, “adopté le pseudonyme Artur Christos en déplacant le “h” de son prénom, “pour (se) rapprocher de la légende arthurienne et (s)’éloigner de Schopenhauer (qu’il n’a) jamais pu saquer”. Mais il fait pire que le pitre : corrompre la femme est un adultère voire plus tard un moyen de la forcer de l’épouser. Mais comment pourrait-il faire tant le beauté a une « manière frénétique de jouer avec sa mèche devant l’oreille en me souriant » ? Certes, en de multiples réflexions, il n’est pas censé connaître les indices de l’existence d’un homme dans sa vie, d’autant qu’il est Hongrois, c’est dire ! (ou presque).
Mais avant même quelques agapes, nous assistons au repas de fête avec en cerise sur le gâteau ce beau brin de fille objet de son attention. Dans son récit et à dessein, le narrateur surjoue ses pensées moins en sprint qu’en marathon. Mais comme les invités, il est essoufflé dès le repas dont le héros est un master des conversations — mélanges d’excitation, de liquéfaction. Il faut donc du temps pour atteindre le moment majeur du roman dont chaque invité va se réjouir – probablement. Se prenant pour Démosthène ou un inspecteur du même nom, l’auto-narrateur va remplacer le menu par une enquête filée tel le fromage d’une fondue.
L’aventure est au fond de chaque assiette. « Creuse, creuse » se dit le héros quasiment in petto dans ce chaleureux appartement somptueux de la fin du XIXe siècle, rescapé des bombardements de la dernière guerre. En ce lieu, ce nouveau Balzac aux descriptions aléatoires et drolatiques tient d’une volontaire injustice littéraire même s’il s’écrie parfois « tout comme deux filles qui sortant des toilettes. Certes, le repas n’a rien de tout repos tant les incidents se succèdent. Mais Artur est un as qui se félicite d’être à la fois lui-même et bien placéparmi ldes convives pour pratiquer des discussions nombreuses et sérieuses qui tournent autant au cauchemar qu’au pouvoir de s’en détacher.
Bref, un tel roman est une fête verbale de l’évènementiel et des situations. Que le lecteur ne prenne jamais de patience. Qu’il se souvienne qu’il s’agit là d’un fin gourmet des gourmands et d’un peuple qui a inventé la tragédie moins de Sophocle que de Racine. Et voire par incidence de Rabelais.
En résumé, tout ici est bon dans le jambon mais aussi les cuisses de sa néo-charcutière dont le narrateur ne balance pas son nom. « Je ne vais pas commencer à donner des pseudonymes à mes personnages, ça fausserait toute la véracité de cet ouvrage », avoue le mythomane tandis que des anges (ou des cas d’havres) passent. Et ce qui se découpe n’est ni le gigot ni la salade.
Ce spécial-thriller cache bien son jeu. Dans cette tribu d’étrangers (des Souabes aux Wari), l’enquête passe au roman de garces à une version apocryphe de Juliette et Roméo, côté recherche et immersion. Mais c’est du nanan. Cette suite germano-greco-austro-hongroise de pseudos secrets reste digne d’un des meilleurs films d’humour anglais (Arsenic et vieilles – mais pas que – dentelles) et cuicuisses à souhait là où sont révélés de derniers secrets aussi faux quel’ élaboration tant bien que mal du banquet. Platoniciens s’abstenir.
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jean-paul gavard-perret
Artur Chritos, Goulash for Xmas, Éditeur original (supposé !) : Souflakis Éditions, Editions Boulou pour la traduction française (tout autant supposée…) de Sylvain Siproche (Sylvain Deletang), 2024, 264 p. — 20,00 €.
Humour anglais ? Plutôt schizophrénie . Artur réussit une fantastique salade qui balade JPGP toujours gourmand de border line .