Un roman à l’image de son personnage principal : protéiforme
Auteur reconnu (lauréat du Prix Wepler en 2005, puis succès unanime avec son précédent roman, United Colors of crime en 2011), Richard Morgiève revient avec un nouvel opus qui reprend ses thèmes de prédilection, pour ne pas dire ses obsessions : la solitude, l’amour, la peur, la violence, la présence/absence du père et de la mère. Boy raconte l’histoire d’une jeune femme de dix-neuf ans, androgyne et protéiforme – lesbienne a priori mais qui tombe « peut-être » amoureuse d’un garçon, chasseresse dans sa réalité de jeux vidéo, dure au mal et fragile infirmière d’un père grabataire, bagarreuse et maladivement timide.
Boy est videur (videuse ?) dans une boîte de nuit lesbienne ingénieusement nommée « Les Filles », mais ça n’est que la partie émergée de l’iceberg qu’est son quotidien. Pour l’immergé, il y a ses efforts vains de « réveiller » son père, ancien auteur à succès qui, suite à un AVC, ne sait plus communiquer. Alors elle joue les scènes des livres qu’il n’a pas écrits, mais elle les joue vraiment, allant jusqu’à se mutiler et finir à l’hôpital. Là, elle croise Frantz, l’interne doux et compréhensif qu’elle ose à peine aimer. Elle éveille aussi la curiosité des « flics » Kevin et Giss. Et bientôt, le virtuel entre pour de vrai dans sa réalité, sous la forme menaçante d’une apparition ricannante, celle de Bill, sorte de maniaque dangereux qui a jeté son dévolu sur la jeune femme. La violence, déjà prégnante dans sa vie, se fait palpable et sanglante.
Voici un roman que l’on aurait bien du mal à ranger dans une case : thriller gore ? Roman onirique ? Philosophique ? Policier ? Il est un peu de tous ces genres, avec quelque chose en plus. Comme l’incursion dans un monde très contemporain de vignettes moyenâgeuses. La violence d’une époque, entre cauchemar, monde virtuel et réalité du quotidien, tout est décrit par le menu, sur le même plan, et toujours dans ce style ciselé qui n’est pas sans rappeler un Cormac McCarthy : des phrases courtes, choc, asyntaxiques, déroutantes et envoûtantes à la fois. Le lecteur se laisse emporter dans une sorte de transe, ou plutôt d’hallucination, comme celles dont est victime Boy. Et de même que la jeune Amazone parcourt le roman au pas de course, on le lit avec le sentiment d’assister à un combat de boxe. Les coups pleuvent, tout se mêle, sur fond de musiques elles aussi en tous genres.
agathe de lastyns
Richard Morgiève, Boy, Carnets Nord, janvier 2014, 288 p – 18,00 €