Jean-Robert Jouanny, Père-patrie

Peut-on faire le deuil d’un pays qu’on a aimé ?

C’est au cime­tière russe entre Sainte-Geneviève-des Bois et Fleury-Mérogis que Jean-Robert reprend contact avec la Rus­sie depuis la catas­trophe. Il s’est senti trahi, avili. Pour­tant on l’avait mis en garde, lui recom­man­dant de ne pas s’attacher, qu’il allait souf­frir. Et ce moment est venu. Com­ment peut-on assu­mer avoir aimé la bête immonde après le 24 février ?
Et l’auteur raconte son inté­rêt, sa prise de conscience pour ce pays, son attrait pour sa culture.
Tout com­mence très jeune quand il fan­tasme sur ces contrées à par­tir d’idées plus ou moins sau­gre­nues, qu’il capte, qu’il assi­mile à sa façon. C’est à cause de la carte sco­laire que ses parents l’inscrivent en classe de 6eme avec le russe en pre­mière langue. Mais son père, un hel­lé­niste de haute volée, est très déçu quand son fils, à qua­torze ans, veut aban­don­ner le grec ancien.

Son pre­mier voyage se fait dans le cadre d’un échange. Il y retourne en famille, son père étant invité à une mani­fes­ta­tion uni­ver­si­taire à Omsk. L’auteur décrit ce qu’il découvre de ce pays, les émo­tions res­sen­ties, les par­ti­cu­la­ri­tés de la langue, des com­por­te­ments des habi­tants. Il va étu­dier au MGIMO — L’Institut des rela­tions inter­na­tio­nales de Mos­cou — où il passe un mas­ter.
Paral­lè­le­ment, il décrit son atta­che­ment filial, ses liens avec ce père, une grande figure tuté­laire, mais absent et parti trop vite. Une phrase retrou­vée dans les mémoires inache­vée de celui-ci trouble le héros : “Le rendez-vous avec la Grèce n’a-t-il été qu’un leurre ?” Est-ce éga­le­ment le cas pour lui avec la Rus­sie et il com­pare les deux pays, les deux socié­tés, les deux civi­li­sa­tions. C’est aussi l’amour pour Olga, cette femme qui par­tage sa vie pen­dant plu­sieurs années. “…je me demande si aimer un peuple peut avoir un sens. J’ai sur­tout l’impression qu’on y aime des repré­sen­ta­tions, des incar­na­tions, des mythes qui nous sont propres. La Rus­sie m’a ainsi offert, peut-être mal­gré moi, mille réin­car­na­tions de mon père.

Dans un récit per­son­nel, auto­bio­gra­phique, l’auteur aborde de très nom­breux ques­tion­ne­ments sur les com­po­santes d’une exis­tence en liant la lit­té­ra­ture, des films, aux moments mar­quants. Avec une écri­ture cise­lée, cette lettre qui se vou­lait mis­sive d’adieu à un pays évo­lue vers une lettre d’amour pour ce qui reste de beau dans cette société.

serge per­raud

Jean-Robert Jouanny, Père-patrie, Édi­tions de l’aube, août 2024, 232 p. — 19,90 €.

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