Le pouvoir de la peinture de Marc Lev passe par l’autorité du bois. Elle permet de sortir du Léviathan pour utiliser l’art afin de vaincre de chaos. L’artiste dessine et peint depuis son enfance. Il a suivi durant deux années des cours de poterie et dessin-peinture au sein du “Matnas Hevel Eilot” (Israël). Peignant d’abord en dilettante sur des supports papier et toile, un incendie a ravagé sa maison, ce qui l’entraîna à découvrir le matériau bois pour ses peintures. Il a développé la préparation le bois et a peint à la gouache en un rapport presque charnel avec ce support le poussant vers des désirs de voyages, d’évasion.
Lucide et rêveur, l’artiste écoute la nature et le cosmos face à ce qui parfois entrave la condition humaine. Créateur, il change de régime de peur contre une forme de paix par la force des formes, des couleurs et leurs apologies. Son idéalisme nous anime face à certains discours de souveraineté. Il propose une forme de stratégie positive qui nourrit l’être et sa force d’amour.
Nous attendons sa prochaine étape et de lire le roman qu’il est en train d’écrire.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin, les matins, sont comme un renouvellement ; non pas une journée supplémentaire mais bel et bien une découverte ; que va être cette journée ? Que va-t-il se passer ? Avec qui ? Se lever le matin, c’est appréhender de nouvelles aventures, c’est quelque part un énième plongeon dans l’inconnu…
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
L’enfant qui a été en moi a-t-il totalement disparu ? S’est-il laissé absorber par le “sérieux d’obligation” de l’âge adulte ? Le Marc Lev actuel est à mon avis totalement empreint de son enfance, de sa jeunesse, de ses propres expériences d’alors qui pouvaient amener des lots de louanges ou à l’opposé des brimades verbales ou plus. Mon enfance a été comme tant d’autres bercée par l’insouciance, par la non recherche d’explications, par un devenir dans lequel le journalier prenait largement le devant sur le mensuel ou même l’annuel. Mes rêves ne se sont pas volatilisés et sont encore et toujours partie intégrante de mon devenir…
A quoi avez-vous renoncé ?
Les années passant, j’ai renoncé par obligation sociétale à une certaine spontanéité, à une impulsivité toute naturelle lors de l’enfance. Qui pourrait s’imaginer à soixante ans et plus grimper aux arbres, sauter dans des flaques d’eau, se laisser sciemment arroser par la pluie des cieux sans protection aucune, simplement pour l’instant, pour ce plaisir somme toute humain, à défaut d’enfantin ? Devenir adulte, c’est finalement se priver de plaisirs qui, alors, faisaient partie intégrante de nos devenirs.
D’où venez-vous ?
Certains répondraient : de la matrice utérine ; d’autres iraient plus loin décrivant l’acte sexuel procréatif ; pour ma part, mon ressenti est celui d’un miracle pour toute forme de vie humaine, animale comme végétale. Je viens de là-bas, d’ailleurs, d’un cosmos encore inconnu, encore inexploré, encore incompris: pourquoi moi, pourquoi alors ?
Qu’avez-vous reçu en héritage ?
Qu’est-ce qu’un héritage ? Seraient-ce des traits de caractère, des manières d’agir, de réagir, de se comporter ? Sont-ce des formes de comportement que l’on n’aurait jamais eu de par nos propres gènes ? J’ai pour ma part tendance à croire que l’héritage est directement lié à notre propre existence, à nos combats, à la vie que l’on a menée. Avoir hérité de ci ou de ça est une expression usitée afin de rattacher une mémoire quant aux défunts. Y-a-t-il une quelconque vérité humaine derrière cela ?
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Ma vie est cernée de petits plaisirs quant au monde qui nous entoure… Se lever, sortir de chez soi et s’imprégner du chant des oiseaux, des cieux, de la forme des nuages, du vent jouant avec les feuilles mortes, les faisant tourbillonner sur le sol. La vision d’un hérisson en quête de nourriture dans le jardin me comble de plaisir. La vue d’un enfant surmontant sa peur initiale en s’approchant d’un chien tenu en laisse, jusqu’à le caresser…Ces petites choses qui font que “ça vaut le coup” de se lever matin…
Pourquoi choisissez-vous le bois comme support ?
Le bois se rattache directement à cette nature que je chéris. C’est un matériau noble, vivant, avec ses propres imperfections qui oblige à “faire avec” lorsque l’on peint sur ce support. C’est quelque part redonner vie à un simple morceau de bois jeté, à une souche, une écorce…C’est une forme de continuation de ce que Mère Nature nous offre.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je ne peux pas honnêtement dire que ce fut mon premier “flash” d’importance mais l’homme sur la lune ça a été pour moi comme la concrétisation d’un rêve insaisissable… Depuis, la chose est largement remise en question, des quantités énormes de points d’interrogation ont fait surface : y a-t-il eu la lune ou une superproduction Hollywoodienne, la chose était-elle possible avec les connaissances et les matériaux de l’époque ? Je désire pour ma part rester sur la phrase symbolique de cette aventure quant à ce grand pas de l’humanité…D’ailleurs, ce sujet sera largement traité dans mon prochain roman en phase d’écriture.
Et votre première lecture ?
J’ai comme beaucoup grandi avec les bd de l’époque : Akim, Blek le Roc, Tarzan… Des histoires — situations dans lesquelles l’être humain admiré était un super héros, n’avait pas grand chose à voir avec le commun des mortels. Puis je rejoignais les férus d’aventures à travers des romans comme « le Club des Cinq » où je m’identifiais avec ces jeunes héros qui cherchaient et trouvaient… Avec l’implication de l’école et l’obligation de lectures spécifiques, je découvrais les classiques : « La princesse de Clèves »…Les poètes ; la culture française dans sa recherche d’une utilisation linguistique plus qu’élaborée…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Mes goûts musicaux se révèlent comme totalement disparates ; ainsi j’ai grandi avec des chanteurs à textes comme Brassens, Brel, Barbara, Ferré… Je me suis laissé porter plus tard par le rock, la pop music, puis ce fut le reggae, le funky… J’avoue ne pas avoir accroché à cette mode du rap — ou peut-être que la cadence des phrases ne correspond plus à l’absorption de textes par des neurones déjà fatigués…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La lecture fait partie de mon quotidien journalier ; plus la littérature à des fins de réflexion plutôt que pour me laisser vaguer dans des scénarios à l’eau de rose ou sentimentaux. Il n’y a certes pas un ouvrage mais des dizaines d’ouvrages que j’aime relire ; des classiques comme “Le meilleur des mondes” de Aldous Huxley, à “1994” de George Orwell… Plus récemment, ce seraient des ouvrages comme “Soumission” de Houellebecq ou “L’indifférence ou autres horreurs” de Richard Rossin. Mes goûts de lecture ou de relecture actuels vont se façonner en fonction des situations nationales ou internationales, du devenir mondial journalier, de mes propres questionnements et réflexions…
Quel film vous fait pleurer ?
Je présume qu’il y a une sorte de choix quant aux films qui me touchent plus intensément en fonction de l’humeur du moment, du ressenti lors du visionnage d’un film spécifique. S’il y a un fim qui m’a effectivement touché plus spécialement c’est “Le Pianiste” de Roman Polanski sorti en 2022. Celui-ci nous plonge dans l’atmosphère de la Seconde Guerre mondiale où malgré tout l’être humain peut parfois prendre les devants. Je le conseille vivement.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Dans un miroir, je me découvre comme un être avec ses imperfections ; personne n’est parfait ! Mais je vois au-delà du reflet un être humain, enclin à rechercher le bien sur Terre, à tendre la main vers autrui, rêveur, utopiste même, empli d’optimisme quant à des lendemains meilleurs pour toutes et tous. Je vois peut-être cet autre moi-même que j’aimerais être…
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aurais apprécié avoir des échanges écrits avec des centaines de personnes, de personnages, à notre époque comme à une autre. Des personnalités comme Gandhi, comme Martin Luther King, comme le Dalaï Lama : hommes de bien, de mieux, de recherche de sérénité et du mieux être ensemble qui auraient à mon sens pu apporter une autre dimension à mes propres interrogations. M’auraient-ils répondu? Auraient-ils enclenché un processus d’échanges ? Rien n’est moins sûr ; mais voilà le type de personnes avec lequel j’aurais aimé discourir par lettres interposées.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La représentation par excellence d’un mythe à mes yeux est l’Atlantide. Cette île a-t-elle jamais existé ? Fût-elle le fruit de l’imaginaire de Platon? N’était-elle pas en somme la transposition d’une quelconque société paradisiaque à quelque point de la mappemonde et pourtant s’autodétruisant de l’intérieur ? Le mythe des dieux punissant les agissements des humains en provoquant sa disparition totale ne serait-il pas comme une lanterne rouge en place d’un simple mythe ?
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Sincèrement, il me serait impossible de lister ici les divers artistes comme écrivains envers lesquels je ressens une certaine symbiose, dans lesquels je me reconnais, et qui tout bonnement me parlent. Concernant la peinture, je suis très éclectique dans mes propres ressentis quant à des créations : j’aime ainsi les peintres comme Manet, Monet, Pissaro, Van Gogh… et ce, jusqu’à Dali, Munch ; ainsi que des courants plus “ethnographiques” comme Toyin Ojih Odutola ou Kudzanai-Violet Hwami, et d’autres… Pour ce qui en est de mes auteurs préférés, je me situe dans le clacissisme le plus parfait : Proust, Prévert, Balzac, Flaubert, Molière…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La journée d’anniversaire ainsi que les festivités qui l’accompagnent me semble des plus superflues… Il y a cette obligation sociale de fêter inévitablement cette journée avec famille, proches, amis, collègues, et j’avoue bien sincèrement n’apporter aucun intérêt à célébrer cette journée spécifique alors que d’autres évènements joyeux (et parfois d’importance dans nos vies) devraient avoir la primeur en terme de réjouissances. Mais s’il y a un cadeau que j’aimerais recevoir, c’est la promesse d’un monde meilleur, humain, vrai pour les lendemains… Désir bien utopique en soi…
Que défendez-vous ?
Depuis des années, je me suis déclaré “anti-extrémismes” et j’ai tenté (et continue à le faire) d’éveiller quelque peu les consciences quant à ce monde biaisé dans lequel les extrémistes (gouvernements, courants politiques, groupes divers…) ont non seulement pignon sur rue mais parviennent à se faire entendre ; à défaut même de faire leur loi. Jusqu’où ?…
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cette pensée a tout d’une réflexion d’actualité ; regardez les migrants accueillis à bras ouverts dans divers pays occidentaux, reçus avec des lois spécifiques pour eux afin de les assister dans leur intégration dans des sociétés totalement différentes… Les a-t-on aimés ? Pas sûr ! Avions-nous même de l’amour à donner en place de compassion ? Recherchent-ils de l’amour ? Je n’en suis pas convaincu ! Nos sociétés occidentales font à mes yeux passer l’individu seul avant toute volonté de “gérer” le groupe… L’Ego est devenu le fer de lance de ce siècle, assisté en cela par des technologies colportant des fausses informations, des Intelligences Artificielles (donc totalement dépourvues de sentiments) qui prennent indéniablement les rênes de notre monde. L’amour, quel amour ?
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Au moins, la réponse a tout du positivisme et peu importe la question… Ce pourrait être l’acceptation de vivre en couple, d’avancer ensemble, d’effacer la misère, les conflits, d’accepter et de chérir la nature comme nous le devrions, de protéger des espèces animales comme végétales, de tout faire afin de permettre aux abeilles de continuer à butiner pour nous… Alors, ma réponse est également OUI, un grand OUI pour des lendemains meilleurs !
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Ai-je une quelconque envie de définir le monde dans lequel j’évolue en ne me fourvoyant pas ? La peinture ( comme mes écrits) me permet de visualiser un autre monde, un monde de rêve, d’utopie, de bien-être, un monde intemporel qui m’invite à me dissocier de la, des réalités… Ne serais-je pas en tant que créateur une sorte de fuyard ? Voilà peut-être la question non posée…
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 26 août 2024.
Marc LEV répond longuement et sérieusement aux questions de JPGP . Voici 2 artistes de qualité !