Est-ce qu’en écrivant Florence Andoka s’éloigne d’elle-même ? Certainement pas. Car elle trouve une nouvelle autre sœur. La fameuse expression « Usine à rêve » pour définir le cinéma correspond paradoxalement aux cauchemars de Chantal Akerman. Selon la revue emblématique Sign & Sound, elle a vu (du moins post mortem) son Jeanne Dielman couronné meilleur film de tous les temps.
Florence Andoka remonte l’histoire de la réalisatrice en une sorte de déambulation onirique. Mais elle élève la biographie à une élégie et un chant. Pour elle, Chantal Akerman poussa un cri jusqu’à se perdre et se suicider. Le lien à la mère est initiatique. Mais elle comme sa fille furent des femmes exactes. L’une voulait ne se souvenir de rien, dont la Shoah qui effaça toute apparence humaine. L’autre dans ses films refusa tout décor non en trompe-l’œil mais en rime pour le regard jusqu’à ne sentir plus aucun mal.
Les mots ici sont des impacts. L’auteure écrit à bout, portant des images dont la cinéaste ne sortait pas intacte. Existe d’ailleurs une dualité entre l’auteure et son modèle. L’une et l’autre ne se dédouanent d’avoir été ou être poète là « où tout se joue ailleurs » dans des courses aux fantômes (dont celui de Godard).
Quittant Bruxelles, n’ayant pas de rendez-vous à New York ou Paris, Akerman va dériver mais incarne la meilleure de la fiction dans un cinéma autrement. Le rêve devient du cauchemar la noire sœur. La femme orchestre des voix « hors de terre » et s’éloigne d’elle-même et de sa fratrie. Son espérance de vie diminue. Mais Florence Andoka la fait renaître une nouvelle fois.
Elle fait bien plus qu’entrevoir une promesse améliorée, produisant un cinéma d’urgence et de secours. Elle et Akerman ont gommé ce qui fut et devient spontané et sincère. Après la saison en enfer de la réalisatrice, l’auteure écrit, dans un monde usé de l’intérieur, un face-à-face à l’adversité d’une cinéaste qui fut à sa manière vainqueur tant elle put expérimenter sans mentir à l’ordinaire voire bien plus, en filmant avec ses racines et ses sources.
Bref, Florence Andoka écrit en duo, dans son “je” en “tu”, un tel livre pour le futur. Entre images et chant, « entre l’air et la solitude ».
jean-paul gavard-perret
Florence Andoka, Rêve Akerman, Editions de la variation, 2024, 119 p. — 15,00 €.
Avant-gardiste Chantal Akerman ne fut pas assez reconnue par la profession cinématographique . Avec son suicide elle signe cet effacement . Merci à Florence Andoka et JPGP de leurs écrits si exacts