Eric Chassefière réinvente la poésie par une écriture des sens capable de pénétrer l’impénétrabilité de l’être. Il ne cultive pas une forme d’impuissance dans l’ivresse des songes. Il devient capable de savoir ce qui le saisit presque sans le comprendre. Tout se produit dans « chaque dessin de l’instant dans la lumière, chaque silence, chaque chemin qui s’ouvre ». Avec ce livre, les vers sont remplacés par des fragments de prose où se libèrent et transposent ce qui arrive et ce qui est éprouvé dans le cheminement différent de la pensée.
La sphère de la parole change tout de soi-même jusqu’au monde vu. Elle peut créer une culture toute neuve, l’évolution de la poésie. Elle n’est pas ici faite de colonies de symboles, comme sur le cortex cérébral. C’est quelque chose de plus profond, qui atteint l’âme, cette conscience supérieure, son fond sublime,
L’auteur ne prend pas la nature pour un plafond dans la chambre de la modernité. La poésie devient pure puissance jusqu’à la « puissance de ne pas » (l’architecte ou le musicien conservent leur puissance de faire même quand ils ne construisent pas ou ne jouent pas).
Cet outil méconnu (la poésie en vers ou en prose), dont les seuls équivalents en termes de bouleversement du regard sont la spiritualité et la relation amoureuse, permet de creuser dans l’être l’espace d’une « gratuité » dotée de valeur. Rien de gratuit dans cette gratuité. Tout est développé sous l’effet conjugué d’une capacité d’attention, d’échanges, d’un usage immodéré de la poésie.
Nous découvrons ici les signes avant-coureurs d’une des fonctions humaines les plus essentielles permettant d’entrer en contact avec le monde. De plus, pour créer ce courant grâce auquel se gagne un espace propice à la libération. Mais pas pour n’importe comment ou quoi. Chassefière sait s’extraire d’un langage abîmé, limité, appauvri, pour investir un espace d’expression symbolique non strictement déterminé là où un pas au-delà prend racine.
jean-paul gavard-perret
Eric Chassefière, Comme tremble le seuil, Editions Alcyone, Saintes, 2024, 92 p. — 20,00 €.