Eric Chassefière détruit le syntagme de « poésie paresseuse » élaborée il y a cent ans par le poète roumain, Ion Barbu. Beaucoup, de manière implicite ou non, ont caressé un genre qui n’a pas d’ambitions. Ils ne font pas d’efforts, se contentent de ce qu’ils trouvent, c’est-à-dire des clichés, des déjà dits par les autres, des images et des idées déjà mastiquées et astiquées.
Face à de tels inoffensifs plus ou moins loufoque, Chassefière refuse le vague où se confond le sentimental avec le poétique. Maître d’une poésie descriptive expressionniste, l’auteur ne se contente en rien de belles images ou des images convenues. Sans chercher à choquer — et cela est plus fort -, ces images ne sont pas simplement indiquées avec le doigt.
L’auteur devient un des plus talentueux. Sa poésie non paresseuse crée à l’inverse la « pure » — rêve de l’Abbé Brémond. Refusant l’élégance « à façon » du style et une certaine idée qu’on se fait d’habitude sur le bon esprit de ce qui est bien écrit, son écriture ne flatte ni la tiédeur, ni la simple plasticité ou encore la platitude.
Une telle poésie crée une re-présentation plus qu’une représentation de ce qui est. Car l’auteur joue sur le clavier de tous les sens là où « la lumière s’entend », où l’ombre devient celle « de la pensée ». La promesse des choses permet d’entrer dans un nouveau monde. L’auteur se bat avec toutes les commodités de la poésie lorsqu’elle se replie sous un passe-temps.
Secouant la routine de la description sans pour autant se contenter de la déconstruire — ce qui est devenue une nouvelle mode de ceux aiment se blottir dans la chaleur sécurisante de leur petit troupeau -, Chassefière ne joue pas les protestataires au sein d’un tel groupe. L’indignation, et la capacité de froncer les sourcils ne sont des commodités poétiques. Tout à l’inverse, le créateur s’oriente dans un besoin irrépressible de réagir face à la nature et de la transcender en un carnaval des sensations.
Existe une manière de transformer la quête humaine et poétique non en termes de gagne, de guerre mais afin d’incarner une mutation où même le désespoir humain n’est plus un centre ou une mise. Cette poésie loin, d’une signification fermée — qui relève de l’information ou du slogan -, crée lentement, laborieusement, une voie et une voix, propres, singulières. Devenant comme un narrateur proustien décodeur de signes sociaux, psycho-physiques, l’auteur est l’explorateur du monde sensible, revenant au besoin sur ses propres traces, depuis sa fenêtre ou ailleurs.
Ce que Merleau-Ponty nommait le “Style” devient ici existentiel, incarné dans le matériau du même titre que la pâte sonore, visuelle, olfactive triturée, modelée au plus près du sensible. Le sens émerge, fragile, figurant , défiguré. Cela devient la question qui est poussée d’un livre à l’autre dans d’ultimes retranchements d’une forme d’utopie réaliste en des harmonies d’une profondeur « de vue ». Le « jardin » et bien de divers lieux vibrent, dans toutes les acceptions possibles avec au besoin ce que Ponge nomma non sans raison « la corde sensible».
L’agencement des mots recherché avec passion crée de séduisants préludes, de délicates insertions de qualifications. La seule intention reste la force, la justesse et la beauté des mots simples. Ils sont choisis tout simplement à des fins ferventes, honnêtes pour décrypter la nature, le ciel étoilé et toutes choses vivantes dans l’univers. Le lecteur peut communier avec sa sensibilité et son cœur. La monde devient ainsi une patrie sans drapeau et d’une certaine manière unique et éternelle – si nous pouvons encore l’espérer.
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jean-paul gavard-perret
Eric Chassefière,
– Penser l’infini, Rafael de Surtis, Cordes/Ciel, 2024, 104 p. — 19,00€,
- Le jardin est visage, Encres Vives, Frontignan, 2024, 32 p. — 6,60 €.
Pour Chassefière et JPGP : le grand œuvre de la poésie !