De rêve et d’amour : entretien avec la photographe Julie De Sousa (Nouvelles Amours )

« Actuel­le­ment dans la forêt noire d’Allemagne, avec pour compagnon.nes de voyage ma chienne, mon amou­reux, un camion rouge et l’immensité de la nature. C’est loin de l’agitation de la ville et des innom­brables mou­ve­ments qu’elle éveille en moi » : Julie De Sousa par­tage sa vérité là où l’action est la sœur de ses rêves. Les deux doivent à la fois enva­hir mais être domi­nés. Pour ce, ses pho­to­gra­phies sont sai­sis­santes et tou­chantes de jus­tesse. Tout loin­tain y est proche. Mais Julie De Sousa cultive une forme de res­pect jusque dans toute liberté. Celle-ci est majeure pour tou­cher une vérité. De fait, toutes les séries de la créa­trice sont des his­toires de ren­contres où rien n’est joué mais engagé en de telles approches et tra­vaux maîtres de tech­nique, d’intuition et d’émotion.

 

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je pour­rais vous répondre que je me lève pour le goût de créer et de tra­vailler sur mes mul­tiples pro­jets, car je puise énor­mé­ment d’énergie et d’enthousiasme dans le fait d’être pho­to­graphe. Une autre réponse, tout aussi vraie, serait de vous dire que je ne me lève pas le matin, je laisse mon esprit rêvas­ser libre­ment pen­dant des heures dans son lit car — pour moi — c’est d’abord du rêve que vient l’action, et je nour­ris beau­coup de rêves. Ceci dit, pour une photo, une ren­contre ou un voyage, je pour­rais me lever à 5h du matin tous les jours. Pour tout le reste, j’ai tou­jours été en retard.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Cer­tains se sont réa­li­sés, cer­tains m’ont quit­tée, d’autres sont nés et d’autres encore sont réap­pa­rus quelques années après. Je n’ai jamais cessé de rêver. J’ai l’impression de vivre depuis tou­jours avec une grande flamme dans le corps, qui brûle et s’émerveille de tous les pos­sibles. Par­fois, je dois la cana­li­ser pour ne pas me sen­tir consumé, pour que la flamme reste gérable. Sou­vent, lorsqu’un rêve vient me chu­cho­ter sa pré­sence à l’oreille, il se trans­forme rapi­de­ment en mille idées et en un puis­sant besoin de le réaliser.

À quoi avez-vous renoncé ?
J’ai pen­dant long­temps été atta­chée à une forme de sécu­rité maté­rielle qui m’empêchait de me lan­cer dans les choses qui avaient vrai­ment du sens pour moi. La vie d’artiste — ou d’indépendant — est sou­vent fan­tas­mée ou consi­dé­rée comme idéale, et c’est cer­tain qu’elle m’apporte ce que je consi­dère comme étant le bien le plus pré­cieux : une grande liberté. Sans cette liberté de mou­ve­ment, de parole, d’imaginaire et d’action, mon feu inté­rieur ne ferait que s’étouffer. Mais c’est un choix de vie qui a son revers de la médaille, il faut être prêt à embras­ser une forme d’impermanence. À com­men­cer par la sienne, car il y a des jours où la peur vient nous rendre visite, avant de lais­ser place à la confiance, puis de nou­veau à la peur, puis la confiance, et ainsi de suite, inlassablement.

D’où venez-vous ?
Je suis née dans le Gers, dans la cam­pagne. Puis j’ai passé une par­tie de mon ado­les­cence dans les Landes, sur le port de Cap­bre­ton. On a beau­coup démé­nagé quand j’étais enfant, tout en res­tant très proches de la nature. Aujourd’hui, je me suis ins­tal­lée à Paris mais j’ai tou­jours la bou­geotte. Je me déplace sou­vent et j’aime les longs tra­jets. Ceux qui me laissent le temps de rêvasser.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Énor­mé­ment d’amour. J’ai grandi avec ma mère, qui n’était pas riche maté­riel­le­ment par­lant. Mais elle m’a donné en abon­dance ce que tout parent devrait don­ner à son enfant : du temps, de l’écoute, de la confiance, de l’admiration et son encou­ra­ge­ment le plus total. Aujourd’hui, elle ne com­prend pas tou­jours ce que je fais, mais elle conti­nue de me dire : “si tu es heu­reuse, alors c’est tout ce qui compte”.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Écou­ter Dalida et chan­ter avec elle pen­dant que je retouche mes pho­tos.
“Mon his­toire
C’est l’histoire d’un amour
Ma com­plainte
C’est la plainte de deux cœurs
Un roman comme tant d’autres
Qui pour­rait être le vôtre
Gens d’ici ou bien d’ailleurs
C’est la flamme
Qui enflamme sans brû­ler
C’est le rêve
Que l’on rêve sans dor­mir
Un grand arbre qui se dresse
Plein de force et de ten­dresse
Vers le jour qui va venir”

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?
Je pense qu’on se dis­tingue tou.te.s les un.es des autres, de par notre his­toire et notre che­min per­son­nel. Dans ma pra­tique artis­tique, j’ai d’abord besoin de vivre pour créer. C’est de cette vie que je trouve l’inspiration. Lorsque j’ai com­mencé à tra­vailler sur mon pre­mier livre Nou­velles Amours, l’appareil photo m’est sur­tout apparu comme un pré­texte pour aller à la ren­contre de l’autre et pour répondre à des ques­tions qui m’étaient per­son­nelles. Ce pro­jet m’a fait gran­dir humai­ne­ment avant de me faire gran­dir artis­ti­que­ment. Alors, à la ques­tion “qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?”, je com­prends “qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres humains ?” J’ai envie de dire, à la fois tout et rien. Tout, parce que nous sommes tou.te.s différent.es. Rien, parce que nous fai­sons par­tie de la même famille.

Com­ment définiriez-vous l’érotisme dans vos œuvres ?
L’érotisme dans mes œuvres est en réa­lité en dehors de celles-ci, dans le regard que pose celui ou celle qui regarde. Je ne fais que mettre en lumière et en matière des espaces dans les­quels il pour­rait venir se cacher et se lais­ser sur­prendre. Lorsque je cap­ture une image, je ne cherche pas à racon­ter une his­toire mais plu­tôt à ouvrir des portes vers une mul­ti­tude de mondes et de sen­si­bi­li­tés. Je me laisse tou­jours gui­der par une éner­gie très intui­tive et émo­tion­nelle. Peut-être que le corps revient constam­ment dans mon tra­vail, car il n’y a rien de plus pur à mes yeux.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Ce n’est pas une image mais tout un livre :  In my room, de Saul Lei­ter. Cha­cune de ces images m’a ému aux larmes. Je ne sau­rais dire ce qui m’a le plus tou­chée dans son tra­vail : son regard, l’intimité de sa chambre, la dou­ceur mais aussi la force de toutes ces femmes… Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que ce livre a mar­qué un avant / après dans mon travail.

Et votre pre­mière lec­ture ?
J’ai été étu­diante en Lettres à La Sor­bonne, puis res­pon­sable de la librai­rie du Cent­quatre à Paris et édi­trice pour une petite mai­son d’édition fami­liale. J’ai donc été tou­chée par beau­coup de livres, pour des rai­sons dif­fé­rentes. Mais, si je devais n’en citer qu’un, alors je par­le­rais sans hési­ter du recueil poé­tique Chair Papier, de Juliette Bre­vil­liero. La pre­mière fois que j’ai décou­vert ses mots, j’ai eu l’impression de me décou­vrir moi-même. Je l’ai donc contac­tée pour lui deman­der d’écrire dans Nou­velles Amours et elle m’a fait l’immense hon­neur de deve­nir ma co-autrice.

Quelles musiques écoutez-vous ?
N’importe quelle musique qui pourra me faire chan­ter, dan­ser ou rêver. Je peux donc écou­ter en l’espace d’une jour­née : Dalida, Edith Piaf, Cesa­ria Evora, Dakha­Bra­kha, Jacques, Nils Frahm et ter­mi­ner avec “Clair de lune” de Debussy.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Mon jour­nal intime.

Quel film vous fait pleu­rer ?
J’aime les his­toires d’amour. Alors, pour n’en citer qu’une : Call Me by Your Name. Puis­sant d’érotisme et de len­teur. Un film explo­rant la décou­verte de l’amour par un ado­les­cent, un amour intense et pas­sion­nel, si puis­sant qu’il néces­site d’être maî­trisé mais qui à la fois nous plonge dans une urgence inévi­table. En contraste avec la hâte moderne face à l’inconnu, ce film montre avec une len­teur déli­cate l’émergence des pre­miers sen­ti­ments, ceux qui bou­le­versent et redé­fi­nissent toutes les perceptions.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Je vois celle qui ne vieillira jamais, celle sans âge. Je ne sais pas bien quand elle a arrêté de gran­dir exac­te­ment mais, elle est là, forte d’un opti­misme éter­nel et d’une naï­veté fière et indis­pen­sable à son bon­heur.
Je vois celle qui, au contraire, a ses pre­miers che­veux blancs. Celle qui vou­drait, pour la pre­mière fois, être maman. Celle qui se voit chan­ger.
Je vois celle de demain, celle que j’aimerais deve­nir, une fois accom­pli tel ou tel rêve.
Je vois celle que je suis ou celle que j’imagine être.
Et par­fois, je vois seule­ment que j’ai du cho­co­lat sur la bouche.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À la MEP — Mai­son Euro­péenne de la Pho­to­gra­phie — pour­tant, j’adorerais y expo­ser. En vérité, je n’ai jamais écrit à per­sonne pour me pré­sen­ter, expo­ser mon tra­vail, ni même pour édi­ter ou dépo­ser mon livre. Toutes les oppor­tu­ni­tés pro­fes­sion­nelles qui se sont pré­sen­tées à moi sont venues d’elles-mêmes, sans que je ne demande rien. Mais les gens sont tou­jours venus nom­breux à nos dédi­caces et expositions.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
J’aime beau­coup Paris, je trouve qu’il y a une éner­gie folle dans cette ville et qu’elle offre un champ des pos­sibles infini. On pour­rait s’y racon­ter mille his­toires et y (ré)inventer de mul­tiples soi, de façon plus ou moins méga­lo­mane. Mais je tombe amou­reuse d’énormément de lieux dif­fé­rents, cha­cun à sa façon vient sus­ci­ter l’émerveillement chez moi et me conter ses mythes. Actuel­le­ment, je suis dans la forêt noire d’Allemagne, et je pour­rais me perdre éter­nel­le­ment dans la gran­deur de ses arbres, ses rivières, cas­cades et pay­sages sau­vages. Le monde entier n’a t-il pas valeur de mythe ?

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens d’abord proche de toutes les per­sonnes avec qui j’ai été ame­née à cocréer et à par­ta­ger un uni­vers com­mun, à un moment dans ma vie. Juliette Bre­vil­liero, Dia­man­tino Quin­tas, Vincent Hodin, Jéré­mie Cohen, Alexandre Dias Viga­rio… C’est ce qu’il y a de plus beau dans la créa­tion, la ren­contre de deux âmes sen­sibles et l’émergence d’un nou­veau monde.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Le per­mis et une voi­ture. Voici la cagnotte, à votre bon cœur : https://www.leetchi.com/fr/c/pour-une-julie-heureuse-sur-les-routes-1884001

Que défendez-vous ?
Le droit d’aimer. Aimer avec un grand A. S’aimer soi, l’autre et tou.te.s les autres.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-Ppul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 4 août 2024.

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