Cette édition rassemble trois recueils : Mes poèmes ne changeront pas le monde (Le mie posie non cambrieranno il mondo, 1974, dédié à Elsa Morante), Le Ciel (Il Cielo, 1981) et Le moi singulier qui n’est qu’à moi (L’io singolare proprio mio, 2006). Ces recueils sont composés de très courts poèmes où la futilité des thèmes n’est qu’apparente. L’expression subtile de sentiments, de sensations oppose une réalité toujours trop étroite à l’aspiration au grandiose. L’autobiographie et le lyrisme côtoient l’humour et la dérision. En quelques mots, quelques lignes suffisent à faire surgir une vision du monde très singulière.
Cette écriture se caractérise aussi par des aspects visionnaires, évocateurs en un lexique mixte et hybride, mais sa condition est d’une pureté sans faille. Si bien que tout est dit avec précision. L’esprit est guéri de son malaise, de la maladie de l’imprécision au sein de thèmes récurrents : le corps, la dépression, l’hypocondrie et la maladie.
Entre autres, le cancer dont elle écrivit : « Je ne sais pas ce qui est le pire, la maladie ou les remèdes. Je suis déprimée parce que les médicaments m’ont enlevé ma force et que les cures m’ont enlevé ma mémoire. C’est la vérité : on ne peut pas écrire de la poésie si on n’a pas de mémoire. » Le reste c’est surtout ses mots, ceux d’une guerre perdue mais son œuvre devint la norme de l’urgence. En déviant un peu la main qui écrit lestement, elle fuyait la fulguration sans regarder à la dépense mais sans un mot inutile à ajouter. Bref, elle écrivit comme une blessée par balles et, écrit-elle, “je vends très chèrement ma peau”.
Mais à tout ce qui venait troubler le silence, elle a dit merci.
jean-paul gavard-perret
Patrizia Cavalli, Mes poèmes ne changeront pas le monde, traduit de l’italien par Danièle Faugeras & Pascale Janot, Préface de Giorgio Agamben, Editions des Femmes, Antoinette Fouque, Paris, 2024, 490 p. — 23,50 €.