Suite frémissante de probabilités et de conjectures
L’astuce de Christine Montalbetti tient du choix d’un voyeur (en rien malsain) pour qu’il soit le narrateur de son roman. C’est pour lui le moyen (amusé) de se demander que sont devenus le passé, présent et futur de couples. Cette adjonction de jeunes ne voit pas la menace qui plane sur son histoire, celle d’un couple plus mûr et plus certainement hanté par la possibilité de la rupture, de la co-adjacence énigmatique entre un professeur américain et une jeune femme, ou encore d’une mère incertaine d’elle-même et de son grand fils, etc.. Il y a là des réponses précipitées, voire parfois quasi haineuses. Se découvrent des entêtements à repasser les plats d’un vieil enthousiasme comme si de rien n’avait été.
Tiago narrateur et serveur en présente d’autres (boissons comprises) sur cette terrasse portugaise, terrain idéal d’observation. Ses engagements dans la version qu’il donne de ses clients tiennent de ce qu’il ne peut ignorer ceux qu’ils sont devenus et qu’il n’a pas forcément prévus et ceux-là n’imaginent pas ce qu’ils deviendront.
Sans finir de suivre tout autour de lui ce qui arrive, il peut construire des pensées sociologiques, politiques. Il n’en manque pas. Presque toutes sont utiles. À ces explications armées de savoir et fortifiées par la cohérence pacifiée de ses pensées, il manque une tonalité et de la perplexité. En jaillissent une utopie et la vérité sensuelle de sa propre sourde inquiétude. Bref, ce qu’il entend bouche le propre trou de son existence.
Cette terrasse devient l’image et le son de sa propre intimité : « Toutes ces présences résonnaient en moi comme des parties de moi-même, plus ou moins connues, plus ou moins inconnues. » Une telle présence lui sert de tutelle. Mais parfois elle le trouble pour une raison majeure : sa vie d’avant et désormais le regard troublant de Gloria prête à placer une suite frémissante de probabilités et de conjectures qui ne relancent pas seulement la curiosité de ses clients.
Geneviève Montalbetti vient sur son terrain, estime sa posture imprévisible. Le roman montre tout entier son héros tel qu’il est. Et qui devient peu à peu, suite à son miel, des sensations flashées entre touristes. L’essentiel est dans les attitudes et mots qui le traversent à mesure que le livre avance.
jean-paul gavard-perret
Christine Montalbetti, La Terrasse, août 2024, 352 p. — 21,00 €.