Hakim Bécheur, Mission Mare Nostrum

Quand une vil­lé­gia­ture vire au cauchemar…

Mare Nos­trum, Notre Mer, a été employé pour la pre­mière fois lorsque l’Empire romain contrô­lait la tota­lité des rives de la Médi­ter­ra­née. Cette expres­sion a été reprise en 1926 par Mus­so­lini alors qu’il ambi­tionne d’assurer son hégé­mo­nie sur la Grande Bleue.
L’intrigue, ici, s’appuie sur le par­cours heurté d’un jour­na­liste d’investigation qui se retrouve au cœur d’une opé­ra­tion spé­ciale menée par des Ser­vices Secrets fran­çais et les Ser­vices de ren­sei­gne­ments tunisiens.

Jalel Tounsi est un jour­na­liste d’investigation qui signe du nom de plume Le Fau­con mal­tais la plu­part de ses articles. Il a retenu ce pseudo en hom­mage à sa mamie qui l’a élevé quand ses parents et sa fra­trie sont morts dans un acci­dent d’automobile. Il est à Dar Essaada, sa villa à Ham­ma­met, en com­pa­gnie d’Emma, la fille de son pro­fes­seur d’histoire-géo. Il l’a ren­con­trée alors qu’il dédi­ca­çait Tuni­sie : le jas­min s’est fané, son livre choc sur la situa­tion de la Tuni­sie, son pays natal.
Au matin, il découvre devant sa porte un exem­plaire de La Liberté. Un titre lui saute aux yeux : Le Fau­con mal­tais vic­time d’une exé­cu­tion som­maire. Il connaît bien le rédac­teur en chef et pense à une ven­geance de mari trompé. Mais l’article est argumenté.

À peine remis de son émo­tion, il veut ras­su­rer sa mamie. Pour cela, il lui faut trou­ver un télé­phone. C’est un mar­chand de jour­naux qui, ouvrant son kiosque, le dépanne. Ce n’est pas sa grand-mère qui répond, mais Mou­fida, une fille-mère qui a été accou­chée par Mamie. Elles ne se quittent plus depuis leurs veu­vages res­pec­tifs. Mamie est à l’hôpital en réani­ma­tion. Il veut pré­ve­nir Emma qu’il file à l’hôpital. La chambre est vide. Un mot manus­crit explique que l’état de santé de son père s’est aggravé et qu’elle rentre en France. Or, Emma obéit à son offi­cier trai­tant de la DGSE. Jalel a mis la main sur des docu­ments qui, dif­fu­sés, équi­vau­drait à une explo­sion nucléaire. Elle avait pour tâche de séduire Jalel dans le cadre de l’opération Mare Nostrum…

Hakim Bécheur, qui signe avec ce titre, son pre­mier polar, concocte un récit d’une forte inten­sité, pla­çant ses per­son­nages impor­tants face à des dilemmes, des cas de conscience et une fuite éper­due pour essayer de res­ter en vie. Il réin­tro­duit de nou­velles com­po­santes venant ren­for­cer la den­sité de l’intrigue. Les rebon­dis­se­ments se suc­cèdent sans dis­con­ti­nuer jusqu’à une chute finale qui peut ouvrir, peut-être, sur une suite. Mais outre cette intrigue sou­te­nue, il aborde nombre de pro­blèmes actuels et dénonce injus­tices, inéga­li­tés, l’ordre actuel qui gou­verne le monde.
Il donne une pré­sen­ta­tion beau­coup plus fidèle de l’esprit de l’anarchie qui n’est ni le désordre, ni le chaos, mais qui intro­duit une meilleure jus­tice entre les hommes. Ce concept est com­battu par les tenants d’un ordre bien bar­bare mêlant auto­ri­ta­risme et néo­li­bé­ra­lisme débridé.

Pour cha­cun des prin­ci­paux per­son­nages, une dizaine, il pro­pose au fil du récit une bio­gra­phie détaillée don­nant les clés pour com­prendre cer­tains com­por­te­ments, cer­taines atti­tudes. Le roman­cier ins­tille quelques remarques pra­tiques ou savou­reuses comme le fait que des popu­la­tions entières pré­fèrent acqué­rir smart­phones et gad­gets hors de prix, s’empiffrer de mal­bouffe plu­tôt que se payer un bou­quin. Il met en scène un espion qui fré­quente la lit­té­ra­ture phi­lo­so­phique des plus grands pen­seurs et connaît le réper­toire de Léo Ferré et de Bras­sens sur le bout des lèvres.
Avec Jalel, l’auteur sou­met son héros au mal-être de nombre d’expatriés, inté­grés en fait nulle part, ne pou­vant espé­rer les mêmes condi­tions dans le pays d’accueil et ne plus trou­ver sa place dans le pays d’origine.

Avec ce roman, Hakim Bécheur pro­pose une his­toire qui apos­trophe en mêlant des sujets d’une actua­lité brû­lante, des pro­ta­go­nistes qui res­tent long­temps en mémoire, et une intrigue retorse, d’une belle ten­sion et d’une grande efficacité.

serge per­raud

Hakim Bécheur, Mis­sion Mare Nos­trum, Édi­tions de l’aube, coll. “Noire”, juin 2024, 232 p. — 17,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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