Jean-François Miniac & Bruno Marivain, Oradour — L’innocence assassinée

En finira-t-on un jour avec la barbarie ?

Cet album est né du sou­hait de Robert Hébras, le der­nier sur­vi­vant du mas­sacre qui fit 643 vic­times le 10 juin 1944à Ora­dour. De nom­breux livres ont été écrits sur cette tue­rie, mais il vou­lait une bande des­si­née consa­crée à ce drame car il esti­mait que c’était le sup­port lit­té­raire les plus appro­prié pour tou­cher d’autres publics, en par­ti­cu­lier la jeunesse.

Dans la région de Limoges, en ce début d’année 1944, les acti­vi­tés des maquis se sont inten­si­fiées dans l’attente du débar­que­ment des Alliés. Les opé­ra­tions de repré­sailles menées par les Alle­mands et les forces de Vichy, la Milice, éga­le­ment.
Camille Senon et Jean Pailler arrivent à Ora­dour, intri­gués par le silence, la puan­teur, la des­truc­tion totale par le feu. La veille, elle avait essayé de venir par le train depuis Limoges, pour retrou­ver ses parents après sa semaine de tra­vail. Les com­mu­ni­ca­tions avec Ora­dour étaient cou­pées. Sur place, des sol­dats ont encer­clé le vil­lage, tuant des hommes pen­dant que d’autres se dépêchent d’entasser des fagots de bois dans l’église.
Au loin, des témoins s’interrogent sur cette fumée qui semble s’élever du vil­lage. Et c’est la des­crip­tion de toutes les étapes d’un mas­sacre sys­té­ma­tique, l’entassement dans l’église de trois cent cin­quante femmes et enfants, les gre­nades incen­diaires jetées dans les mai­sons, les exé­cu­tions sommaires…

205 enfants, 247 femmes, 191 hommes ont péri ce jour-là. Seuls une dame, un gar­çon­net et cinq hommes confi­nés dans une grange vont sur­vivre. Avec un souci du détail, de la chro­no­lo­gie des actions, les auteurs, gui­dés par les témoi­gnages de sur­vi­vants, une docu­men­ta­tion pré­cise, donnent un récit hal­lu­ci­nant. Com­ment peut-on ima­gi­ner une telle sau­va­ge­rie et sur­tout com­ment pen­ser que celle-ci per­dure encore aujourd’hui, dans de nom­breuses régions, contre des popu­la­tions de Gaza, d’Ukraine, d’Afghanistan, de Chine ?
La 2eme pan­zer­di­vi­sion de Das Reich s’était déjà par­ti­cu­liè­re­ment illus­trée par son igno­mi­nie en ter­ro­ri­sant les popu­la­tions ukrai­niennes, à Khar­kov, en mars 1943, avec des des­truc­tions, des mas­sacres, des repré­sailles pour des actions ima­gi­naires. Mais, épui­sée par des mois de retraite à tra­vers l’Ukraine où elle semé la déso­la­tion, elle est envoyée au repos dans le sud-Ouest de la France. C’est lors de leur route pour rejoindre la Nor­man­die, où le débar­que­ment des troupes Alliés redis­tri­bue les cartes, qu’elle applique une fois de plus l’idéologie mor­ti­fère des nazis.

Le gra­phisme se par­tage entre Bruno Mari­vain pour ses des­sins sai­sis­sants et Cerise pour le choix par­ti­cu­liè­re­ment judi­cieux des teintes. Ils n’excluent aucune scène, celles des mas­sacres, des exé­cu­tions. L’incendie de l’église est d’une réa­lité criante et impres­sion­nante.
Les auteurs ont été gui­dés par Robert Hébras, décédé en 2023, qui a pu voir et don­ner les pré­ci­sions néces­saires, des indi­ca­tions pré­cieuses sur les qua­rante pre­mières planches.

Un dos­sier de sept pages com­plète le récit, repla­çant le mas­sacre dans un contexte plus large. Eru­dit, d’une lec­ture d’une belle approche, illus­tré de façon remar­quable, ce dos­sier est un com­plé­ment indis­pen­sable.
Cette pre­mière bande des­si­née sur cette tue­rie est mar­quante, don­nant à voir la bar­ba­rie. Un album à consul­ter encore et encore pour se sou­ve­nir du passé et sur­tout ne pas se voi­ler les yeux sur celle qui sévit aujourd’hui.

serge per­raud

Jean-François Miniac (scé­na­rio), Bruno Mari­vain (des­sin) & Cerise (cou­leur), Ora­dour — L’innocence assas­si­née, Édi­tions Ans­pach, mai 2024, 88 p. — 20, 00 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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