Éric Stalner réunit dans ce tome les héros de deux albums parus précédemment. Il y a quarante ans, Bertille, une jeune femme pétulante, rencontre le commissaire Louis Bertille devant une énorme boule rouge dont l’apparition et la présence sont incongrues. Il y a six mois, aux États-Unis, le jeune Jonathan vit une étrange expérience en compagnie d’un mystérieux individu. Soit Bertille & Bertille et 13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter (Bamboo — juin 2022 et mai 2023).
Le présent album débute quand un jeune homme, qui paraît paniqué, se rue vers la gare Montparnasse aux environs de Noël 1966. Il se fraye un chemin dans la foule jusqu’à un compartiment où une dame est ravie d’entendre son accent américain lorsqu’il la salue. Elle engage la conversation. Il se présente comme Jonathan Lassiter. Elle dit s’appeler Bertille Bertille depuis que le commissaire Louis Bertille, après quarante ans, a accepté de l’épouser. Il refusait, trouvant que la réunion de ces deux prénoms était ridicule.
Lorsque le train démarre, un homme à l’allure bien ordinaire s’installe dans le compartiment. Le temps passe. Le commissaire fait semblant de lire son journal. Il est aux aguets. Il interroge Jonathan, lui demandant s’il a des ennuis. Et soudain, il sort son arme de poing et menace l’homme… qui est porteur d’un gros calibre.
Et la situation dérape…
La lecture des deux albums précédents ne laissait pas supposer une telle conjonction, celle-ci se situant à plusieurs décennies d’écart. Grâce à l’imagination très fertile d’Éric Stalner, la rencontre est possible et, surtout, elle est présentée de manière cohérente. Et celle-ci donne naissance à des situations particulièrement mouvementées, générées par une recherche acharnée.
Le travail sur les personnages, sur leur évolution, est intéressant et riche pour engendrer des péripéties. Le couple formé par Bertille et son mari se révèle savoureux par leurs rapports. En effet, les approches d’un ancien policier, qui a gardé toutes les manières d’être quand il était un as à la PJ, et celles d’une jeune fille de bonne famille ne sont pas toujours faciles mais sont sources de belles doses d’humour. En ouverture, dans le train, lorsqu’elle s’adresse à lui, il remarque : « Vous me parlez à nouveau ? »
Éric Stalner développe une intrigue toute en puissance grâce à une galerie de protagonistes fort singuliers, quel que soit le bord où ils se trouvent.
Quant au graphisme bien connu de l’auteur, il est à la hauteur des attentes. On retrouve ce dessin réaliste, efficace, d’une réelle beauté dans la construction des personnages, dans le soin apporté aux décors. Les trognes des méchants sont aussi réussies que celles des héros. Il reprend une gamme de teintes qui vont du blanc au noir, introduisant des taches de rouge, surtout le rouge de cette énigmatique boule qui forme un superbe trait d’union entre les récits.
Ce nouvel album, qui peut se dévorer même sans avoir lu les précédents, offre un vrai plaisir de lecture tant pour la subtilité de l’intrigue que pour le dynamisme de l’histoire et ces planches qui régalent le regard.
serge perraud
Éric Stalner, Bertille & Lassiter, Bamboo, Label “Grand Angle”, mai 2024, 96 p. — 19,90 €.