David Chaillou, Natures

Où se trouve notre secrète demeure ?

Avec Natures, David Chaillou, com­po­si­teur né en 1971, formé au Conser­va­toire de Paris et à la Sor­bonne, nous offre son deuxième enre­gis­tre­ment mono­gra­phique après Légendes. Celui dont la créa­tion s’inscrit à la fois dans l’héritage de com­po­si­teurs fran­çais comme Henri Dutilleux, Gérard Gri­sey et dans le cou­rant post-minimaliste, invite ici l’auditeur à che­mi­ner ─ (en cou­ver­ture de l’album figure une pho­to­gra­phie de che­min vert que l’on ima­gine menant à une forêt incon­nue) ─, tel un pro­me­neur soli­taire, dans le temps et l’espace à tra­vers l’évocation des secrets de la nature.
Ecrites de 1998 à 2022, dix pièces, comme autant de pay­sages sonores, com­posent Natures qui donne une place cen­trale au piano et au vio­lon­celle tout en recou­rant aussi au qua­tuor à cordes et aux per­cus­sions. La voix humaine et des sons de la nature, comme les chants d’oiseaux, accom­pagnent ici ou là les notes musicales.

Vita Nova (2021)

C’est la pre­mière pièce et aussi la plus longue, un peu plus de quinze minutes. Ainsi com­mence la pro­me­nade à la recherche des secrets de la nature, de la clé des signes que nous aurions per­due. Cette pièce pour qua­tuor à cordes est toute en den­sité et en inten­sité. Immo­bi­lité et mou­ve­ment, len­teur et rapi­dité semblent se côtoyer. Des sons reviennent sans fin comme des vagues sur le rivage. Le jaillis­se­ment laisse place au calme et réci­pro­que­ment. Des pos­sibles sur­gissent. La musique se fait explo­ra­trice. Sur le plan visuel, c’est comme un jaillis­se­ment d’étincelles. L’horizontalité laisse place à la ver­ti­ca­lité dans une forme d’éblouissement.

Au piano de Sibé­lius (2020)

Beau­coup plus brève, contras­tant avec la pré­cé­dente, cette pièce pour piano qui laisse par­fois entendre, loin­taine, la voix de l’interprète, est toute en rete­nue. Le pro­me­neur des sons semble entendre un filet d’eau cou­ler sur les pierres. Dou­ceur et len­teur, sen­sa­tion d’espace. Le lan­gage musi­cal se res­serre pour creu­ser l’énigme. Une voix comme venue des nuages et des notes comme des gouttes d’eau. Le temps a passé, le che­min continue.

L’oiseau (2021)

Première pièce pour vio­lon­celle et la plus longue après Vita Nova, L’oiseau cultive un art musi­cal de la sobriété. Il y a là, à tra­vers la recherche d’harmonie entre monde inté­rieur et monde exté­rieur, ardente poé­sie. Les vibra­tions musi­cales nous appellent à nous tenir à l’écoute de l’infime qui est aussi l’essentiel. Où se trouve notre secrète demeure ? En contre­point aux constantes nais­sances de la nature s’éveille en l’homme une aspi­ra­tion à la lumière. Elé­va­tion. Le voyage inté­rieur semble sans fin.

Gulf stream (1998)

De nou­veau nous retrou­vons ici le qua­tuor à cordes. La terre est habi­tée par le vent. Une forme de tra­gique se des­sine à tra­vers les élé­ments. Len­teur et accès. Le regard se tourne un ins­tant vers les nuées. Du silence frôlé à l’éclat de la foudre, demeu­rer à l’écoute.

Solo (2018)

Cette pièce d’un peu plus de sept minutes repré­sente le som­met inté­rieur de Natures, le plus beau de ses pay­sages. Le vio­lon­celle donne à entendre là comme une prière musi­cale. A tra­vers peu dire beau­coup, cet idéal antique résonne de nou­veau avec une poi­gnante moder­nité dans Solo. L’auditeur se tient au seuil brû­lant du secret de la nature et de l’homme. Voyage et pay­sage. Une lueur demeure dans les pro­fon­deurs. Le vio­lon­celle de Solo nous fait entrer avec len­teur dans les mondes inté­rieurs et touche, avec émo­tion, le cœur.

Hie­ro­glyphs (2022)

Avec Hie­rop­glyphs s’inaugure le cycle des cinq der­nières pièces de Natures, toutes datées de 2022 et toutes sous le signe de la briè­veté (moins de trois minutes). De même que la pré­cé­dente, cette pièce, la plus brève de toutes, est écrite pour vio­lon­celle. Les piz­zi­cati sug­gèrent des pas che­mi­nant dans la forêt du monde. Ce qui res­semble, comme les com­po­si­tions sui­vantes, à un haïku musi­cal laisse dou­ce­ment le silence voi­si­ner avec la lumière.

Forêt (2022)

Nous retrou­vons le piano, sous les doigts de Laura Mik­kola qui a aussi enre­gis­tré Légendes, le pre­mier album de David Chaillou, mais cette fois-ci accom­pa­gné de per­cus­sions. Bruits de la nature, chants brefs d’oiseaux, aident à sug­gé­rer l’univers de la forêt, ses ombres et ses lumières. Le dépouille­ment, l’attachement à la briè­veté dominent. Des lueurs guident encore vers les secrets de la nature.

Désert (2022)

Après la forêt, le désert. Mais tou­jours le piano, cette fois-ci seul, et tou­jours le dépouille­ment. La musique vise à sug­gé­rer l’infini, l’essentiel. On per­çoit comme des échos d’un loin­tain oublié. Tout l’inutile dis­pa­raît. Et dans le presque rien jaillit l’éclair. La soli­tude du désert reste hos­pi­ta­lière et le voya­geur peut y ren­con­trer le mystère.

Le tom­beau de Cham­pol­lion (2022)

Pièce très brève qui s’attache, avec quelques sons, à retrou­ver l’insaisissable qui nous fonde. Nulle démons­tra­tion, de simples sug­ges­tions. La musique est che­min qui nous délivre de l’oubli. Tel Cham­pol­lion décou­vrant le sens des hié­ro­glyphes, cher­cher encore à déchif­frer l’énigme des signes de la nature.

Barque (2022)

L’album se conclut par une courte pièce musi­cale pour piano. La musique nous immerge dans le temps et l’espace. Les notes, jouées au cla­vier ou sur les cordes, ont la flui­dité de l’eau qui s’écoule de siècle en siècle, l’intensité d’un envol tour­nant le regard vers l’éther. Des tin­te­ments, des bruits, des trilles, résonnent comme autant de signaux. Il faut si peu pour sug­gé­rer le tout. Où mène la barque ? Le pro­me­neur, voya­geur et explo­ra­teur, qui vit en har­mo­nie avec la nature et en approche le mys­tère, devine peut-être l’autre rivage.

L’uni­vers sonore de Natures nous invite à un voyage inté­rieur en culti­vant un art du dépouille­ment, de la sobriété et du silence, tel celui d’un Fede­rico Mom­pou de notre temps. Sen­sible à la poé­sie secrète de la nature et aux lueurs de la vie inté­rieure, David Chaillou creuse ce qui mur­mure et élève le regard vers l’insaisissable. Son lan­gage musi­cal nous touche par sa pro­fon­deur. Nulles inutiles fio­ri­tures. Peindre musi­ca­le­ment la vie de la nature et la vie inté­rieure et prendre tou­jours racine dans l’essentiel. Un album où les notes se font scin­tille­ment et que l’on découvre, réécoute avec bonheur.

ber­nard grasset

David Chaillou, Natures

Laura Mik­kola, piano ; Chris­tophe Pan­tillon, cello ; Aron Quar­tett ; Mor­gan Laplace-Mermoud, per­cus­sion, Pierre Tomassi, per­cus­sion — durée : 54 mn

GEN 24868 · 1 CD Genuin Clas­sics, mai 2024.

 

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