Yves Ravey : cérémonie secrète
Yves Ravey arrive dans sa nouvelle fiction avec une petite valise à peine visible : or, pour en repartir, il faudrait un camion. Le romancier retrouve sa fantastique puissance verbale faite paradoxalement de riens, d’une succession d’assertions de faits dignes a priori du rapport le plus insipide. Le maximum de concentration est néanmoins opéré par la dispersion apparente de notations. Peu à peu la succession de phrases froides et neutres construisent pour donner une fiction éclatante là où pourtant rien ne paraît manifeste. C’est du grand art. Qui ne demande même pas au lecteur quelque effort que se soit et lui procure même une forme de soulagement au sein d’une enquête filée.
Le travail effectué par le romancier est aussi passionnant qu’ironique et grave. Il fait craindre l’abîme à celui qui ne comprend pas les choses dont l’être se sert sans qu’il en tire le moindre service et les actes qui sont inutiles à sa nature même. Dans cette fiction, Ravey prouve une nouvelle fois qu’il n’est pas de ces romanciers qui prennent leur vision pour la vérité. Pour lui, on sort du grand néant, on y rentre. C’est drôle : avant on est neutre, après aussi. Le résultat de l’enquête est donc médiocre. Mais sublimement médiocre.
Car le livre possède une belle architecture bâtie avec une élégance implicite et sans beaucoup de bruit. Le style de l’auteur ressemble à une termitière ramassée et gigantesque. La vie y est tristement merveilleuse mais elle est aussi agent de la mort. Parfois, sans beaucoup de présence vitale, avec juste de-ci de-là un trou dans les broussailles et un petit ciel dessus . Pas besoin de penser : le “ça suit son cours” de Beckett suffit tandis que les heures qui rendent la terre habitable dépendent de la lune. Quant à la langue, dans sa solidité de roche basaltique, elle apprend à quel point — à l’image du narrateur du livre — nous sommes fragiles et combien parmi tout ce qu’on trouve sur terre l’homme est le plus gênant : il prouve que l’emploi de sa volonté est toujours inférieur à son intention mais qu’il faut savoir en rire.
jean-paul gavard-perret
Yves Ravey, La fille de mon meilleur ami, Editions de minuit, 2014, 160 p. - 14,00 €
Elégante et imposante écriture de JPGP et Yves Ravey dont on ne peut que suivre avec remorque , sans bruit , par Minuit la cérémonie secrète de la fille du meilleur ami . Super top en langage 2. 00 !