La fin ne justifie-t-elle pas les moyens ?
La prohibition, renforcée par le Volstead Act voté en 1919, et appliqué de 1920 à 1933, a donné lieu à de très nombreux récits authentiques et de fiction, de faits d’armes entre trafiquants et forces de l’ordre. Nombre de romans, bandes dessinées et films en ont fait leur sujet principal. Cependant, Gihef apporte une touche nouvelle, donne une intrigue inventive avec ce sujet maintes fois mis en scène.
Alors qu’en 1929, la prohibition bat son plein, les religieuses du couvent bénédictin Saint-Patrick, dans le Massachusetts, sont en proie à l’angoisse. Le couvent, très endetté, est en passe d’être exproprié par la banque. Pour trouver de l’argent, les circonstances (guidées par Dieu ?) les amènent à distiller une gnole exceptionnelle qui s’impose vite sur le marché de la contrebande. Or, le jour du premier paiement, une sœur, qui dans le passé s’appelait Maureen, trahit la communauté et s’enfuit avec l’argent.
Patton et Fink, deux agents du FBI, arrivent dans la ville pour enquêter sur les activités du Ku Klux Klan dans la région. Les religieuses décident de continuer la distillation en essayant de se procurer les matières premières de façon légale cette fois.
Pendant ce temps, Maureen a été retrouvée par Frank Wallace, son ancien amant, un gangster redoutable. Il a compris tout le bénéfice qu’il pourrait tirer de l’alcool fabriqué au couvent. Il entre dans les lieux, avec ses complices, et menace la communauté qui ne peut que se plier à ses exigences. Or, un homme influent tient plus que tout à s’emparer du couvent et pour cela…
Face à des difficultés qui mettent en péril leur communauté religieuse, une solution s’impose quand une des sœurs, profitant d’un matériel inutilisé, décide de mettre en œuvre une activité voisine de celle qu’elle exerçait dans une autre existence. Le scénariste conçoit pour faire vivre ce récit une galerie de personnages triés sur le volet, un groupe de religieuses dont certaines ont un passé quelque peu tourmenté.
Dans ce contexte tendu entre les principes d’honnêtetés prônés par leur congrégation et par la foi qui les anime, Gihef introduit des intrigues secondaires, diverses et variées, renforçant l’intérêt et renforçant le sujet principal. Il enchâsse les faits ignobles du Ku Klux Klan, montrant qu’au-delà des grands discours, ces organisations se retrouvent au service de l’ambition délictueuse de leurs dirigeants.
Christelle Galland, dont on suit avec intérêt les productions talentueuses depuis 2015, assure ici le dessin et la couleur. Elle propose un graphisme qui s’intercale entre un réalisme pur et une caricature assumée, brossant ses personnages en quelques traits énergiques, plaçant des décors appropriés au cadre et à l’action. Ses planches sont équilibrées et offrent une lecture très plaisante.
Un second et dernier tome où l’humour tempère la tension du récit, une histoire attractive qui se clôt avec un dénouement qui utilise judicieusement des événements réels.
serge perraud
Gihef (scénario) & Christelle Galland (dessin et couleur), L’Élixir de Dieu — Vol.2 : Deus ex alembicus, Bamboo, label “Grand Angle”, mai 2024, 64 p. — 16,90 €.