Aux mots, Jaffeux préfère les lettres. A cela, une raison d’évidence : nul besoin pour les secondes de respecter leur orthographe… Mais il y a plus : la lettre se rapproche du cri et du silence qu’à sa manière l’ordinateur revigore. Bref, la lettre est le premier bond, celui d’avant le verbe — juste avant. D’une lettre à l’autre se mesure selon Jaffeux la distance du vide à l’enfance et de l’homme à la bête. Là où tout ne semble pas encore énoncé, le signe ne fait pas encore le singe comme Prigent avant l’auteur l’avait déjà souligné. Et l’auteur de souligner que « le silence précéda la parole afin que les lettres puissent aussi être vues sans être lues » (p. 52) — ce qui dans sa tête n’est pas qu’une argutie.
Les 26 lettres sont les 26 signes de force par où tout commence. L’auteur les fait fonctionner ici sous forme d’aphorismes et d’éléments denses comme — ailleurs — il multiplie les strophes intempestives, notes critiques, exposants, afin d’en offrir le chant. Il commença chez le même éditeur avec « O l’An ». Le texte propose dans sa concentration phrastique une suite par séries de 26 courants alternatifs par page propices à un autre apprentissage de la lecture et afin que le vocabulaire ne creuse pas le lit du « caveaubulaire » (Prigent) et que l’enfant que nous fûmes ne se réduise pas à un « enfantôme ». D’une page à l’autre s’ouvre donc une série de champs sémantiques. Ils relient autant l’homme à la bête que l’animal à l’intelligence. Le livre devient la taupe faussement dormante capable de décrypter les messages stéréotypés pour offrir une lecture tierce aux dichotomies perverses. Il prouve aussi que pour la littérature l’avenir est dans les 26 œufs de lettres propres à toutes les omelettes.
jean-paul gavard-perret
Philippe Jaffeux, Courants blancs, Atelier de l’agneau, 2014, 80 p. — 16,00 €.
Avant pendant longtemps. C’est le péril des équilibres. Après les électro choc, c’est la peinture, l’équilibre des périls. Puis je goutte à l’hommelettre. Depuis je casse des oeufs de maux. Pour tenter des anneauxmots. Ils sont les lèvres de ma bouche. Les o pas à pas. Qui scannent au plus près, adhèrent et tournent autour non des mots clés mais des mots verroux.