La violence des dominations ancestrales
Pour son nouveau roman, Franck Thilliez retient un décor peu commun. Il plante l’essentiel de son intrigue dans une petite cité minière dans la Grand Nord du Québec, un centre éloigné de plus de mille cinq cents kilomètres de Montréal.
En 1996, Leonie et Maya sortent du bar où elles ont bien consommé. Elles sont enlevées par trois hommes et violées.
À Lyon, en 2016, Thierry Schaffran n’aurait pas dû s’affranchir des règles dans le dossier Chalumeau, ce tueur qui brûle les parties génitales de ses victimes avec une flamme à plus de 1500 degrés. Pourtant, il avait établi un lien entre les trois victimes et, à partir de là, resserré son champ d’investigation. C’est ainsi que, seul, il est allé fouiller chez son principal suspect, une fouille qui se termine mal pour lui et pour le suspect. C’est en rentrant de l’hôpital qu’il apprend la mort de sa fille de 28 ans, lardée de coups, éventrée, dans le Grand Nord canadien.
À Bois-Comeau, aux portes du Grand Nord, le commandant de l’unité des crimes majeurs, estime que la lieutenant Leonie Rock, une femme de sang mêlé, n’a rien à faire à la Sûreté du Québec, que sa place est dans une réserve quelconque, au sein de la police autochtone. C’est donc avec réticence qu’il lui confie le dossier et l’envoie à Norferville parce qu’elle connaît le terrain bien qu’elle en soit partie depuis vingt ans. Elle est plus gradée que le sergent Paul Liotta qui, depuis des décennies, règne en petit maître sur la ville. Or ce voyage risque, pour elle, de tourner au cauchemar…
Si Norferville est une agglomération de fiction, le romancier s’est inspiré d’une ville réelle du Québec, située dans le Grand Nord. Il a repris le mode de vie, les liens entre autochtones et colons. L’isolement des lieux, au cœur d’une nature hostile, offre un cadre idéal pour décrire une atmosphère délétère, la persistance de certaines mentalités, la domination d’un groupe en toute impunité.
Il décrit avec réalisme, s’étant documenté sur des lieux similaires, le climat, le froid extrême qui entraîne une dépendance à certaines règles. Il a recueilli une foultitude d’informations techniques sur la nourriture locale, la manière d’appréhender le froid, l’atmosphère…
Avec ses deux principaux personnages que sont Leonie et Teddy, deux personnes cassées par les épreuves, il dépeint les traumatismes consécutifs à un viol et à la perte d’un être cher. Avec son héroïne, une métisse, il détaille le sort des Innus, ces populations qui vivaient sur ces terres avant l’arrivée des Européens. Il brosse, sans complaisance, un tableau effrayant de leur situation, de le leur mise à l’écart, de la ségrégation et du mépris dont ils sont l’objet. Il pointe du doigt la passivité de l’État face aux violences dont souffre cette population féminine. Celle-ci, bien qu’en plus petit nombre, est davantage victimes de violences, de disparitions que le reste des Québécoises.
Avec ces deux enquêteurs, le romancier conçoit une intrigue dense, fouillée, fournie, aux rebondissements continus tout en laissant l’espace à des descriptions d’atmosphère, à la constitution d’une ambiance difficile tant par les hommes que par le climat, des expressions, des sentiments, des faits et décalages sociaux.
Une fois de plus, Franck Thilliez signe un roman coup de poing, une intrigue exceptionnelle décrivant un bout de terre particulièrement inhospitalière tant en raison des hommes que du climat.
serge perraud
Franck Thilliez, Norferville, Éditions fleuve noir, coll. “Thrillers”, mai 2024, 456 p. — 22,90 €.