En un « pari » probable, il y aurait d’emblée (dès la lecture d’un tel titre) une belle occasion de miser plus sur Pascal (maître de foi et de vision) que sur Descartes. Mais Marie-Paule Farina ne dégage pas l’esprit de finesse chez un des horlogers majeurs des principes premiers.
Pour l’essayiste, l’homme de raison n’était pas qu’une machine intellectuelle quasi pré-artificielle. L’auteure rééquilibre l’entendement d’un des plus incontournables penseurs avec d’autres données là où existent souvent des agents d’erreurs et de fausseté. Mais Descartes peut ici se vanter lui-même de jugements péremptoires tout en reconnaissant des failles manifestes.
Il n’est pas Aristote (et encore moins un Pascal ou un Montaigne, qui plus est un Foucault…). Il admet que dans sa jeunesse (son enfance est moins indemne) il a emprunté des chemins sinon de traverse du moins peu féconds. Il a compris néanmoins de porter à charge la volonté pour un modèle de vérité. En effet, elle crée un acte libre plus que l’usage d’un simple bon sens.
Dans ce but, Marie-Paule Farina réussit une telle introspection de Descartes afin de bloquer son système, sa doxa de certitudes. Elle rappelle qu’être capable de jugement implique des alternatives. Beaucoup s’en défendirent et se vantèrent de prouver qu’ils pouvaient faire mieux que l’auteur du Discours. Mais l’essayiste (tout comme son sujet) n’est pas dupe des dupes.
En conséquence, ce livre est un « change » (comme l’écrit Jean-Pierre Faye) pour notre regard et la propre pensée de Descartes sur le pensable et l’impensable. Et ce, là où l’astrologie, les mathématiques et autres outils pouvaient l’attendre. De plus, il apparaît ici moins froid qu’honnête homme et juste. Marie-Paule Farina scrute les détails de son armure pour cacher avec discrétion — citations à l’appui — ce qui se cache dedans.
L’enfance du philosophe est à ce titre déterminante sans que l’essayiste, avec intelligence, évite une psychanalyse. Elle élimine toute censure et coalition pour ouvrir à un philosophe bien plus humain que certains ont oblitéré. Défauts ou émotions comprises, Descartes reste un homme libre d’une certaine foi et de certains rêves tout en évitant une moindre once de folie. Il est d’une autre ordre tutoriel. Sa raison porte conseil. Ce livre aussi.
Celui-ci parachève un philosophe « indifférencié ». Et son auteure évite toute variété d’illusion, de prestidigitation. Ses jeux d’ombre sont en parfaite adéquation avec l’œuvre de Descartes. Elle suggère en parallèle la complexité de l’être. Il ne gît plus sous un voile purement « « cartésien ». Ici, son abstraction révèle d’autres plis et replis, d’autres traits et retraits.
Au besoin, Marie-Paule Farina accorde une cosmétique particulière : elle ordonne et désordonne, cache et dévoile non sans l’arrangement d’une harmonie. Celle de la variété de Descartes. Chez lui éclatent ou résistent des recoins, des replis, des zones instables, des régions denses, compactes, d’autres plus fines. Le penseur-type y trouve paradoxalement une présence personnalisée par la « réflexion » qu’une telle écriture développe.
Il n’y a là jamais rien de trivial, d’impudique. Une sorte d’intégrité jaillit. Descartes est révélé dans sa quête d’une continuité possible de l’être et du monde au-delà du repli sur lui. Quant à l’auteure, elle nous offre une belle communauté.
jean-paul gavard-perret
Marie-Paule Farina, Descartes, sur la foi d’un rêve, Editions L’Harmattan, coll. Ethiques de la Création, Paris, juillet 2024, 190 p.- 22,00 €.
C’est ça . Carrément . JPGP a tout compris . J’ajoute que le berceau du quatuor de célébrités mises en lumière par Marie-Paule se nomme Sig , Oran , Alger .