Loin du passé pas lointain mais échu et quoique toujours pas vraiment pensé, Robert Filliou a montré que l’insu pèse son poids. Le tout dans ses sporadiques efforts. Mais celui-ci tenta articuler la question globale de la culture contemporaine et de justifier ce qui, ici et là, apparaît le moins évidemment possible.
En ces textes retrouvés, Filliou — faisant parfois du Guy Debord — créa un modèle la circulation médiatique à travers pièces (ou l’inverse), contes, chansons, etc. Y demeurent des bonds de langues (français et anglais) et d’idées excentriques hors toute uniformisation.
Mais c’était un peu comme si Filliou se demandait comment vivre, sans l’effort de représentation qui spécifie l’humain. En conséquence, il s’est inquiété humainement et esthétiquement de la déréalisation du monde dans la coagulation des représentations.
Comment d’ailleurs supporter que l’effort de représentation ne soit que répétition vaguement stylisée du déjà représenté ? En ce sens, Filliou, loin des formes communément admises, a créé une expérience individuée : celle de sa liberté. Face à ce qui a fait écran entre le monde et nous, il fut un avant-gardiste insituable sans tomber en des combats de coq avec les grandes penseurs amollis du bulbe.
Cela fit de lui un bel oiseau fin de bec et de la plume. Le tout jamais sans mauvaise graisse de pathos. Non dupe et toujours ironique, il fut radical. Nous le découvrons dans le bataillon de ses textes retrouvés, parfois, pour faire pensum mais pour savoir pourquoi et le comment la pensée théorique peut s’ouvrir à un certain bouddhisme.
Façon d’éveillé, il se contenta parfois d’être endormi. Quant à son questionnement, l’évincement trouva une forme : un élément « positif » nourrit toujours le négatif. Bref, le Oui est un non oui et le non un oui non.
Que demander de plus ? Et n’est-ce pas un moyen d’accéder à l’existence symbolique par un si drôle d’oiseau ?
jean-paul gavard-perret
Robert Filliou, Poèmes, scénarios, chansons, Édition établie par Emma Gazano, Les Petits Matins, collection « Les grands soirs », 2024, 208 p. — 22,00 €.