Stéphane Pair, Furie Caraïbe

Le face-à-face de deux femmes…

Si Haïti est deve­nue en 1804 la pre­mière répu­blique noire de l’histoire, depuis quelques décen­nies, le pays n’en finit pas de subir des dic­ta­tures, de som­brer dans la vio­lence, le crime. À ce chaos humain s’ajoute celui de la nature, le ter­ri­toire est régu­liè­re­ment dévasté par des catas­trophes climatiques.

En 1964, trois camions char­gés de jeunes volon­taires prennent la route depuis le sud de la Grande-Anse alors que trois camions rem­plis de jeunes ton­tons macoutes quittent Port-au-Prince sur ordre du Palais. Les convois menés par Thé­mis­tocle, un géant ancien com­mis bou­cher devenu un des Césars de la pro­vince de la Grande-Anse, convergent vers la ville de Jéré­mie, à l’ouest. Ils traquent, tuent les der­niers rebelles et leurs soutiens.

Dans la villa des San­sa­ricq, c’est un mas­sacre avant l’incendie. Mais, der­rière le bâti­ment, un homme part avec une petite fille, qu’il appelle Sybille, dans les bras.
Dans la pri­son de Fort-Dimanche, à Port-au-Prince, Rosa­lie, en 1971, tient l’établissement dans une main de fer. Elle est féli­ci­tée par le pré­sident Duva­lier, l’éclairé doc­teur de la nation (sic !), pour sa trou­vaille rela­tive aux déte­nus.
Sybille, en 1986, retrouve Jacques dans la nuit. Ils ne se connaissent que depuis huit jours, mais une pas­sion tor­ride les emporte. Elle est une des racines de la contes­ta­tion étu­diante alors qu’il ambi­tionne de faire for­tune comme narcotrafiquant…

Dans son roman, où il mêle indi­vi­dus réels et per­son­nages de fic­tion, Sté­phane Pair explore une des pires périodes, celle de la ter­reur ins­tal­lée par Fran­çois Duva­lier, élu en 1957, puis par son fils qui lui suc­cède en 1971. Celui-ci ne sera ren­versé qu’en 1986.
Le bras armé de la ter­reur, les ton­tons macoutes, est une milice para­mi­li­taire consti­tuée pour pro­té­ger le pré­sident après une ten­ta­tive d’attentat. Ils ont, en toute impu­nité, la pos­si­bi­lité d’extorquer des biens, de l’argent, des “faveurs” sexuelles à la popu­la­tion. Cela devient leur moyen de sub­sis­tance. C’est ainsi qu’ils vont déployer tout ce qu’une huma­nité pour­rie peut ima­gi­ner et mettre en œuvre. Ils ont réa­lisé le cata­logue com­plet de l’ignominie.

Deux indi­vi­dus authen­tiques par­ti­cipent à l’intrigue. Rosa­lie Bos­quet, dite Madame Max Adolphe, chef des mili­ciennes, des ton­tons macoutes, et direc­trice de la Pri­son de Fort-Dimanche où les condi­tions de déten­tion, la sur­po­pu­la­tion, l’absence totale d’hygiène, les mala­dies, emportent les pri­son­niers comme des feuilles dans le vent. Elle se vola­ti­lise en février 1986 lors du ren­ver­se­ment de Bébé Doc. Elle se serait réfu­giée dans l’État de Géor­gie où elle serait morte en 2018, âgée de 93 ans.
Jacques Bau­doin Ketant est consi­déré comme l’un des plus impor­tants nar­co­tra­fi­quants haï­tiens. Il vit encore sur l’île où il a été déporté après douze ans de pri­son aux USA.

L’auteur mêle des sen­ti­ments forts dans une intrigue ten­due. Il décrit la cor­rup­tion, la bar­ba­rie, la vio­lence tant poli­tique que raciale, cri­mi­nelle que de classe. Et cette vio­lence engendre la ven­geance. Pair dresse un por­trait édi­fiant de l’île, super­be­ment docu­menté et pro­pose un récit où les péri­pé­ties se suc­cèdent dans un cres­cendo jusqu’à un final impétueux.

serge per­raud

Sté­phane Pair, Furie Caraïbe, Édi­tions 10/18, coll. “Polar”, mars 2024, 234 p. — 14,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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