Celle qui ouvre les portes de la liberté : entretien avec Murielle Compère-Demarcy (éditions Douro)

Murielle Compère-Demarcy, après des études en phi­lo­so­phie et lettres modernes, vit aujourd’hui dans l’Oise où elle se consacre à l’écriture et dirige la col­lec­tion “Pré­sences d’écriture” des édi­tions Douro. Ivre de cultures, avides de lec­tures, elle est poète au sens plein et avide d’une forme de sen­sua­lité — signal de son exis­tence cachée. Et ce, pour l’exprimer en arpen­tant la Falaise effri­tée du Dire (édi­tions du Petit Véhi­cule). Elle offre le sen­sible par ce qu’elle nomme son « alte­ré­goïsme ». Oiseau invi­sible du Temps (éd. Henry), elle ouvre bien des portes sur la poé­sie, la lit­té­ra­ture et le secret de la vie impé­né­trable. Quoiqu’intellectuelle elle est cher­cheuse en émo­tions et sagesse pro­fonde dans ses dévo­ra­tions (« Louve » se dit-elle par­fois…). Ses intui­tions se concré­tisent de manière poé­tique flam­boyante mais aussi en prose et en textes d’analyses lit­té­raires et phi­lo­so­phiques afin de créer des révé­la­tions secrètes dans une essence confi­den­tielle de l’existence par la voie du cœur.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le goût de l’effort, d’aller au-devant de nou­velles ren­contres et aven­tures humaines et tom­ber de fatigue pour reprendre au fil de la nuit la toile tis­sée par l’existence épique, et de nou­veau quit­ter la nuit pour retis­ser le jour comme l’oiseau se branche dès l’aube face au soleil : pour que l’Aurore embrase ses ailes et prenne encore et tou­jours le risque, sans cour­ber l’échine, d’un ciel sans cesse réin­venté, relevé, hori­zon appro­fondi et même si, par­fois, ses bâts blessent.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfants ?
Un trous­seau de clés tenu tou­jours en main et dont il n’a pas encore décou­vert toutes les entrées ; qu’il porte tel un dis­po­si­tif por­table d’oxygène activé ou près de l’être si besoin à tout moment. Un trous­seau de clés dont la porte Rési­gna­tion n’existe pas. Un arc-en-ciel en bouche, puisque l’horizon de mes rêves d’enfants s’affiche sur chaque nou­veau visage de chaque jour, chargé du Lan­gage des mots, des Mots du lan­gage : leur mai­son dont la construc­tion inache­vée flam­boie dans l’ombre comme l’éclaircie après l’orage, l’arche de cou­leurs face au soleil après la pluie … Mes rêves d’enfants sont au-devant de ma quête d’existence, au pied de l’arc-en-ciel de mon che­mi­ne­ment pas­sion­né­ment éprouvé pour sen­tir ses pas dans tout le corps res­pi­rer, et mon­ter l’adrénaline des pen­sées dans la colonne d’air de notre avan­cée sur la route des vivants.
Mes rêves d’enfant sont embar­qués sur le pont d’un Trans­si­bé­rien dont la Prose cahote, sorte de Cent-Tonnes contem­po­raine, au gré des autans, au fil du grand rail de l’aventure, rac­cordé au tempo d’un « Cendrars-Paris-Tambouctou » pour la beauté du rythme, le chan­dail endossé du vécu sur le torse des désirs, dans l’aire tho­ra­cique du souffle exis­ten­tiel. La manche à air sans cesse dressée !

À quoi avez-vous renoncé ?
À rien. Ou si, peut-être : à frei­ner mes élans à cause du regard des autres. Dans la mesure évi­dem­ment où ces élans s’actent dans le res­pect altruiste.

D’où venez-vous ?
D’ici là-bas.

Qu’avez-vous reçu « en héri­tage » ?
Le sens des valeurs huma­nistes et le sens du devoir accom­pli ; le goût de l’effort ; une fureur de vivre, ici, main­te­nant, inten­sé­ment, dura­ble­ment. La fidé­lité. À quoi j’ai ajouté ma propre »dot » : mon bien meuble XXXL : celui d’être fol­le­ment éprise de la Liberté.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
D’avancer à contre-courant et d’en jouir, d’être aussi bien dans la marge mal­gré soi, spon­ta­né­ment. + man­ger une entre­côte ou pavé de Salers sauce au poivre avec « la cuvée du patron » ou un bon Bour­gogne, agré­menté d’une salade verte.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
D’être unique (rires).
Mon style.
Mon regard.
D’être comme eux dans ma dif­fé­rence.
Par­ti­cu­la­ri­tés : ego modéré, aime tra­vailler dans l’ombre.

Com­ment définiriez-vous votre fémi­nisme ?
Par mon amour des hommes (les vrais, qui existent). Une cer­taine viri­lité dans les formes de l’existence, asso­ciée à une sen­sua­lité que connaissent aussi les hommes (les vrais).

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une image récur­rente qui me tra­ver­sait dans l’enfance : dans la mer, la nuit je nageais entou­rée de cadavres flot­tants. Et cette voix : « Les morts se nour­rissent des vivants ». Un rêve récur­rent dont j’ignore la source.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Celle, en fait, qui fut vrai­ment reçue. « Le grand Meaulnes » d’Alain-Fournier. Quasi-simultanément : « La Prose du Trans­si­bé­rien et de la Petite Jehanne de France » de Blaise Cen­drars. Mon exis­tence a com­mencé là.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Celle des mots, leurs silences, leurs points d’orgue.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« La vie est ailleurs, La valse aux adieux » de Milan Kun­dera, « L’Ancien Tes­ta­ment », « Le Procès-Verbal » de J.-M.G Le Clé­zio. « Le Châ­teau » de Franz Kafka, « Les Frères kara­ma­zov » de F. Dos­toïevsky., « Un amour de Swann » de Mar­cel Proust, « Per­for­mances de ténèbres» de Pas­cal Qui­gnard, « L’occupation amé­ri­caine » de Pas­cal Qui­gnard, qui m’a fait aller visi­ter les oubliettes où fut enfermé le poète Fran­çois Vil­lon à Meung-sur-Loire et aimé l’impétuosité indomp­table du fleuve Loire. « M Train » de Patti Smith m’accompagne dans tous mes voyages.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« E.T. l’extra-terrestre » de Ste­ven Spielberg.

Quand vous vous regar­der dans un miroir qui voyez-vous ?
Julien Sorel. (Sérieu­se­ment) : Mon amour clan­des­tin. La « petite boule de neige cou­leur d’œil » (Paul Eluard) dans l’eau des rêves de mon corps, qui monte, monte dans mes yeux, jusqu’à mon amour clan­des­tin qui me regarde.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Alain Finkielkraut.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Israël.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Patti Smith, Anto­nin Artaud, Jacques Pre­vel, Léo Ferré, Vincent Van Gogh (dont je connais les Lettres à Théo, lues et relues dans la Cor­res­pon­dance du “livre rouge”. Quelle par­ti­tion vivante de la Cou­leur !), Béa­trice Douvre (Jour­nal de Bel­fort), Pierre Reverdy, Sal­va­dor Dali, Emily Dickin­son, Milan Kundera.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
« Le Jour­nal Lit­té­raire » de Paul Léautaud.

Que défendez-vous ?
La Liberté cou­leur d’Homme, Souffle, grand res­pir uni­ver­sel, Liberté vis­cé­rale, moti­vante, amou­reuse, exal­tante, de l’écriture du livre de la vie, phé­nix des pau­pières sur le Palimp­seste du temps déroulé sur la vague délirante/débordante/désirante des émotions.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
L’immense mas­ca­ret du grand Mys­tère de la Vie. Le com­bat du Fleuve et de la Mer.

Que pensez-vous de celle de Woody Allen : « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion » ?
« Je pense que Oui. Non ? ».

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celle-là.
Ma cita­tion / devise : « Le dégoût qu’il avait éprouvé de lui-même était resté en bas ; en bas, il avait senti ses mains deve­nir moites de ter­reur et son souffle s’accélérer ; mais ici, en haut, dans le poème, il était bien au-dessus de son dénue­ment ». (Milan KUNDERA, La vie est ailleurs).
Milan Kun­dera acte la trans­cen­dance de l’écriture de la vie sur la vie sans poé­sie ; la réha­bi­li­ta­tion du réel par la Littérature.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 juin 2024.

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