Gérard Cartier, Le roman de Mara

L’éman­ci­pée

Pour Gérard Car­tier, ce pro­jet est très ancien. Selon les pre­mières traces avé­rées, quelques unes ont été publiée dans une revue en 1994. “J’ai long­temps conservé sans y tou­cher un manus­crit de soixante-quatre poèmes.” dit l’auteur. D’où ce roman-poème — qui s’émancipe du pro­saïsme et devient une sorte d’allusion au Voyage de Bou­gain­ville –qui est aussi celui d’une enfant en construc­tion. Elle gran­dit, découvre le monde et s’émancipe. C’est aussi le roman de père à qui elle échappe peu à peu au moyen d’images chan­gées car chan­geantes en une suite de métamorphoses.

Par exemple, dès l’origine voici “Mara dans les neiges expo­sée au Ver­cors / fris­son­nant en langes dans sa tour d’abandon // chauve lai­teuse la voix accor­dée aux vis­cères / Mara en cor­nette enfan­tée d’une morte.” Mais le lec­teur ne se trompe pas, ni se limite à une telle vision. Pour Mara, le monde peut deve­nir beau même si par­fois elle semble le fixer d’un œil dans la fente d’un mur pour le voir. De plus, pour le com­prendre, elle met des mots des­sus tan­dis que ceux de l’auteur pro­longent ses trans­fi­gu­ra­tions dans une vérité “en dépit du men­songe où il faut pour­tant se cacher”, écrit-il.

Non seule­ment il ana­lyse la vie, le réel mais aussi l’image loin de la nar­ra­tion. Son oeuvre crée une forme de figu­ra­tif para­doxal là où Gre­noble veille, place St Bruno, les bu, le VFD et biens d’allusions aux poètes dont Leo­pardi et Zan­zotto (la ville est presque ita­lienne) . S’y mêlent dif­fé­rents plans et divers points de vue. L’objectif n’est pas en une telle approche d’éliminer la tem­po­ra­lité et les ordres mais de les rap­pro­cher en un même plan.

Les com­po­si­tions des poèmes offrent chaque fois — plus ou moins flous enchaî­nées — un sort de tableau de latence par un hypo­thé­tique agen­ce­ment de sens où quelque chose pour­rait se cacher et en res­sur­gir à tout moment. Chaque poème est donc construit de détails mis en rela­tion au sein d’éléments du réel pro­po­sés dans des formes géné­ra­le­ment simples mais pas for­cé­ment et ins­tan­ta­né­ment recon­nais­sables. Se voit ainsi ce que l’on peut voir et pas for­cé­ment ce qui va (ou irait) de soi.

Parlons alors de dra­ma­tur­gies capables de mettre le monde en mou­ve­ments au sein de scènes étranges et dans les­quelles le tra­vail de construc­tions — à tra­vers entre autres et par exemple des chan­ge­ments d’échelle — donne un rythme à chaque ensemble. Cette mise en œuvre ouvre donc concrè­te­ment la spa­tia­lité idéale à ce qui tient par feintes de récits en un chant absolu. “Oubliant / les noms et les lieux”, il devient un des “fleuves qui n’ont pas de nom / et se perdent dans l’hiver”.
Mais il y a autant d’étés au-dessus des jar­dins où se dis­tingue “un rire un bou­quet d’orties blanches / minus­cules fleurs épi­lées”. Elles peuvent comme l’héroïne se frot­ter à l’absence sans oublier la brû­lure. Et c’est entre men­songe et vérité que jaillit une surréalité.

jean-paul gavard-perret

Gérard Car­tier, Le roman de Mara, Tara­buste, mai 2024, 140 p. — 14,00 €.

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