Contre les pensées (morales, religieuses, esthétiques) en place, Gustave Moreau a toujours choisi une voie particulière. Réduisant les colorations à deux ou trois tons de base, limitant les harmonies à des camaïeux (de bleu, de rouge), il a voulu rendre compte de valeurs dont les objets ou les sujets représentés détournent si souvent la vue de l’essentiel.
Son oeuvre ne cesse donc d’étonner. Les reproches qui lui sont encore parfois assénés (pastiche, imitation, absence d’originalité, servitude à la tradition) tombent d’eux-mêmes à qui se confronte à un tel travail. Certes, le peintre savait de quoi il en retourne : « Vouer Poussin, Ingres et les vieux maîtres qui passent tous à l’état de fossile et de vieil imbécile aussitôt qu’apparaît une audace nouvelle vraie ou fausse » n’est pour lui qu’une ineptie. La mode peut donc se passer de nouveautés,
Et Gustave Moreau prouve par sa postérité que sa peinture « tient ». Elle n’est ni jeune, ni vieille. Elle donne un autre point de vue sur la beauté. Elle demeure un filtre qui a su livrer goutte à goutte et en résistance contre les évolutions à la mode « une liqueur paradoxale ».
L’artiste ne fut ni un tacticien, ni un intrigant qui suivait la mode de son temps. Il ne chercha jamais à aveugler son public d’images fausses, frelatées et éphémères — ce qui paraît pourtant souvent le plus original aux yeux des gogos. Car l’originalité (surtout lorsqu’elle s’annonce comme telle — ce que les grands novateurs n’ont jamais spécifié) n’est pas forcément gage d’avenir (avenir de qui et de quoi d’ailleurs ?).
Gustave Moreau contre les brouhahas du temps a toujours su attendre : « vous ne pourrez forcer un troupeau de dupes et de dupés à aimer ce qui est beau à la place de ce qui l’assomme et l’hébète » écrivait-il. Loin des excentricités, des fausses audaces, l’artiste « pompier », ainsi affublé, a su suivre son sillon en faisant abstraction des coteries et des caprices. Contre les fausses audaces et les fausses valeurs artistiques, face à « tant de farceurs qui cherchent à attirer l’attention et les suffrages de la foule et des connaisseurs niais », il a préféré cette recherche du « sublime » qui lui a tant fait — et c’est bien dommage — de mal jusque dans sa postérité.
jean-paul gavard-perret
Gustave Moreau, Écrits sur l’art — Sur ses œuvres et sur lui-même. Théorie et critique d’art, textes établis, présentés et annotés par Peter Cooke, préface de Geneviève Lacambre, Fata Morgana, coll. bibliothèque artistique et littéraire, Fontfroide le Haut, avril 2024, 384 p. — 30,00 €.