Georges Didi-Huberman, Des visages entre les draps. La ressemblance inquiète

Hantises

Georges Didi-Huberman sait que toutes les oeuvres res­tent (par­tiel­le­ment) ellip­tiques pour mieux trou­bler le regard et les cultures Tout est de l’ordre d’effleurements dont sur­git la pro­messe d’un autre hori­zon. Les images engendrent aussi des ouver­tures. Elles offrent un laps tem­po­rel au songe et ne le vident jamais de sa sub­stance. Elles per­mettent de rani­mer une pré­sence que l’artiste dirige et dont il ne s’agit sur­tout pas de se dégager.

D’abord, l’auteur pro­pose une réflexion sur un célèbre por­trait en buste, moulé et modelé en terre cuite. Il pour­suit ce par­cours cri­tique, à tra­vers son des­tin dans le dis­cours de l’histoire de l’art. A savoir un chef-d’œuvre de Dona­tello dont émergent des pré­sup­po­sés théo­riques majeurs de la dis­ci­pline qui, trop sou­vent, ignore qu’elle regarde aussi avec ses propres mots.

Dans l’autoportrait « chris­tique » de Dürer, l’auteur prouve de plus que l’image peinte n’a rien, pour lui, d’une simple conquête vir­tuose sur le monde visible. Envi­sa­gée au prisme de son inquié­tude reli­gieuse, elle s’impose plu­tôt comme un drame de la res­sem­blance. Si bien que, dans la han­tise, des visages dis­pa­raissent sous le blanc des lin­ceuls.
Ce livre illustre et condense l’idée de la res­sem­blance à l’époque de la Renais­sance. A ce moment de l’histoire des formes, celle-là est sou­vent un mythe que l’auteur illustre ainsi  : ” à la fois une opé­ra­tion légen­daire, lit­té­raire, et un bri­co­lage , un mon­tage tech­nique des­tiné à réunir dans le concret des ordres de pen­sée ou de réa­lité tout à fait hétérogènes”.

L’auteur pré­cise aussi que le por­trait de Dante par son Giotto a fixé jusqu’à aujourd’hui notre image du poète même si cette figu­ra­tion n’a été qu’une inven­tion rétros­pec­tive des­ti­née à fon­der, au XVIe siècle, l’idée même d’une Renais­sance. Pour Didi-Huberman elle a été ordon­née par la conquête des res­sem­blances optiques et pic­tu­rales et ce, jusqu’à éloi­gner de notre culture his­to­rique l’importance des res­sem­blances en plu­sieurs objets des Flo­ren­tins du Tre­cento et du Quat­tro­cento.
Didi Huber­man pro­pose donc un nou­vel essai d’anthropologie his­to­rique à tra­vers ce geste que l’art a mythi­fié et fait évo­lué et dont les sources rete­nues ici posent divers jalons. Ils créent des formes de “masques” plus ou moins vides ou pleins, com­plai­sants ou révélateurs.

Des artistes ambi­tieux ita­liens, l’auteur a com­pris le pro­fit qu’ils pou­vaient en tirer et non seule­ment celui des bonnes grâces des maîtres du gou­pillon comme des sabres. D’autres s’en sont ser­vis à l’inverse comme anti-pouvoirs d’insolence.
L’essayiste garde tou­jours sa pré­ci­sion et sa clarté d’analyse même près de sortes de lin­ceuls, le tout avec une clarté qui n’a rien de réduc­trice. Il rap­pelle aussi que la soli­tude de Dieu n’est pas dans le ciel mais sur terre. Par l’image, l’auteur illustre de plus une révolte voire une catharsis.

jean-paul gavard-perret

Georges Didi-Huberman, Des visages entre les draps. La res­sem­blance inquiète, Gal­li­mard, Col­lec­tion Art et Artistes, Paris, 25 avril 2024, 272 p. — 21,00 €.

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