Munich sous un nouveau regard
On croit tout savoir sur la conférence de Munich, véritable traumatisme de l’histoire de l’Europe, pesante obsession des diplomaties occidentales, décidées à ne plus céder aux chantages des dictateurs, analysée et décryptée par des générations d’historiens de toutes nationalités. Pourtant, c’est avec un immense intérêt et un grand plaisir de lecture qu’on lira l’ouvrage de Maurizio Serra sur cette lugubre conférence de septembre 1938, dont le prestige de la France ne se releva jamais en Europe centrale.
Le lecteur retrouvera dans ce dense ouvrage les qualités d’analyste de l’histoire (des archives diplomatiques autant que des mémoires des protagonistes), de diplomate expérimenté et d’écrivain de Maurizio Serra, membre de l’Académie française.
Trois points majeurs sur lesquels repose l’originalité de cette étude sont à relever. Tout d’abord, la mise en perspective historique de la conférence, depuis les traités de 1919, la réorganisation d’une Europe centrale sous influence française, la naissance de nouveaux Etats comme cette Tchécoslovaquie à laquelle Paris se lia par un traité en 1924, puis le basculement du rapport de force en faveur de l’Allemagne. Sans nier les indéniables responsabilités de la France dans cette déroute, Maurizio Serra rappelle, avec force détails, combien la politique d’apaisement des Britanniques paralysa toute la machinerie diplomatique des démocraties et renforça la détermination de Hitler à détruire l’œuvre des traités de Versailles et de Locarno.
Ensuite, l’importance accordée par l’auteur à l’étude des personnages de ce drame rappelle que l’histoire est fait par des hommes, avec leur caractère, leurs qualités et leurs défauts, leurs petitesses et leurs grandeurs, leurs illusions, leur aveuglement et leurs passions. On ne comprend rien à Munich si l’on omet la personnalité de Chamberlain, enfermé dans ses certitudes, et qui cachait derrière son aire de “vicaire de village” un caractère irascible et méprisant, pétri de complexes.
Et que dire de Daladier le taiseux, “honnête et point vil”, indécis et intelligent, réaliste et incapable de s’imposer sinon qu’il n’était pas de taille à se dresser contre les courants puissants conduisant au renoncement de Munich. Face à eux, un Mussolini sur la corde raide et qui pouvait tomber soit dans le réalisme géopolitique soit dans le prisme idéologique; et un Hitler pressé d’en finir, de s’emparer du potentiel industriel de Bohême, d’anéantir la Tchécoslovaquie pour mieux se jeter sur la Pologne. Et puis il y avait tous les autres, Beneš le Tchèque, Staline le Soviétique, Beck le Polonais, rejetés hors de la scène, ainsi que les ministres et conseillers dont il ne faut jamais sous-estimer l’influence.
Enfin, le rôle de Mussolini émerge de l’ombre dans laquelle les historiens de la conférence le laissent trop souvent. Avec une grande précision, Maurizio Serra décrypte la politique étrangère en réalité fort complexe du Duce qui n’était pas encore pieds et poings liés avec le Berlinois, se moquait comme d’une guigne de la Tchécoslovaquie mais ne voulait pas d’une guerre.
Il ne fut donc pas seulement l’initiateur de la conférence mais y joua un rôle crucial en proposant un plan qui reprenait les demandes du Führer sans franchir les lignes rouges au-delà desquelles les Occidentaux — les Français en l’occurrence — auraient réagi. Cette manœuvre permit de limiter le butin allemand aux Sudètes et de mettre sur la touche le plan de Ribbentrop, à savoir l’anéantissement de toute la Tchécoslovaquie.
On l’a compris, il s’agit d’un livre dense et complet, passionnant et riche d’enseignements.
frederic le moal
Maurizio Serra, Munich 1938. La paix impossible, Perrin, avril 2024, 400 p. — 24,00 €.