Une chronique familiale piquante … comme il y en a tant !
Ce dimanche 17 mai 1981, quatre générations sont réunies autour de la table pour un repas dominical autour du gigot aux flageolets. Mémé, l’arrière-grand-mère de Pilou, le petit dernier, est entourée de sa fille avec son compagnon, de ses trois petits-enfants et de trois arrière-petits-enfants.
Les repas ne se passent jamais vraiment bien. Mais tous se forcent à venir depuis qu’ils ont appris qu’il y avait un magot caché dans la maison. Seule Mémé sait où sont les louis d’or. Mais ce dimanche, la discussion porte sur les conséquences de l’élection toute récente de François Mitterrand à la présidence de la République. Les discordes habituelles s’exacerbent avec l’arrivée au pouvoir de la Gauche, les uns se réjouissant, les autres prédisant les pires catastrophes. Mais tous ne pensent qu’à une chose, trouver et récupérer cet or. Or, Mémé, qui a encore toute sa tête, ne semble pas comprendre et…
La date de départ du scénario n’a pas été choisie au hasard. Il est certain que cette élection d’un Président de gauche a suscité dans les cercles familiaux des discussions houleuses, voire haineuses. Les uns voyaient s’ouvrir une période sociale faste, les autres craignaient le déferlement de catastrophes comme l’arrivée des chars russes et de débordements économiques.
Mais l’auteur intègre d’autres éléments qui jalonnent une vie familiale en ayant toujours en ligne de mire la recherche d’indices pouvant amener au trésor. Si les différents membres ne s’entendent pas pour des raisons diverses et mal explicables, ils ne se quittent pas, pour autant, pour éviter que l’un trouve le magot et le garde pour lui.
Philippe Pelaez jalonne son récit de trouvailles scénaristiques truculentes, de réflexions sur le quotidien, sur les rapports entre humains. En donnant à Pilou le rôle de narrateur, il se fait naïf, découvrant avec effarement des actes pratiqués par les adultes ou ne comprenant pas certaines situations. Mais le plus drôle reste cette filiation improbable qu’il faut découvrir en lisant l’album. L’auteur introduit de belles doses de poésie qui agrémente les propos comme la machine à remonter le temps.
Il décrit avec tact des états qui ne sont pas, a priori, très gais comme : “Ça doit être ça la vieillesse… Un vieux piano qui se désaccorde lentement mais dont personne ne remarque les fausses notes.”
Le graphisme se partage entre Espé pour les dessins et Florent Daniel pour les couleurs. Espé, malgré un programme tendu, a tenu à mettre en images cette histoire qui le passionnait. Dès le début d’une rencontre à Angoulême, il avait jeté sur le papier, à partir des quelques indications données par Philipe Pelaez, une suite de portraits. Sa famille est formidable de réalisme avec une belle expressivité pour chacun.
Les teintes choisies par Florent Daniel donnent un beau relief, restituant l’atmosphère de cette année 1981.
Un album à découvrir pour cette chronique riche en humour, qui résume nombre de situations servies par un graphisme des plus réussis.
serge perraud
Philippe Pelaez (scénario), Espé (dessins) & Florent Daniel (couleurs), Le gigot du dimanche, Bamboo, coll. “Grand Angle”, mai 2024, 72 p. — 16,90 €.