Mon bel animal ( Marieke Lucas Rijneveld / Ivo van Hove)

© Jan Versweyveld 

Dissec­tion du viol

Le public s’installe devant le pla­teau large, ouvert, pro­fond. La scène est recou­verte de paille et d’accessoires de ferme. Bal­lots, brouette, abreu­voirs, et même un petit tram­po­line, pro­ba­ble­ment un reste d’enfance. De célèbres mor­ceaux de rock ouvrent en dou­ceur le spec­tacle, les comé­diens inter­viennent d’abord silen­cieu­se­ment, affai­rés à des tra­vaux ima­gi­naires, entre ciel et terre : le fond de scène est une grande bande de nuages, qui sur­plombe et contraste le sol aux nuances de jaunes et d’ocre.
Une ami­tié com­plice se noue entre le vété­ri­naire — sou­vent pré­sent en cette période d’épidémie chez les pro­duc­teurs de bovins – et la fille de la ferme. Leurs conver­sa­tions sont émaillées de cita­tions de la Bible comme de refrains à suc­cès anglo-saxons. Autour d’eux, il n’y a que des pré­sences spo­ra­diques : la femme (de l’homme), le père (de la fille), le fils (de l’homme), petit ami de la jeune fille. Le géni­teur se découvre concur­rent de son enfant. Les deux per­son­nages se lient autour de la perte : elle, de son frère, mort jeune, d’un acci­dent auquel il aurait été mêlé, lui, dont on ne sait trop quoi, peut-être de la mère, ou de l’innocence.

Il est celui qui par­tage ses fan­tasmes, la ras­sure et semble lui offrir des délires symé­triques. Lui, à la faveur de leur rela­tion, explore ses propres fan­tômes et y trouve apai­se­ment. Ils se livrent tous deux à des pra­tiques mor­bides et à conno­ta­tion sexuelle. Le vété­ri­naire revit des scènes d’inceste avec sa mère, ins­crit le doute en lui, par­tout où il ne s’agit pas d’elle. Des soup­çons sur­viennent autour de leur trop fré­quent iso­le­ment. Le père menace, la femme s’émeut.
Les ren­contres ont alors lieu la nuit. L’inéluctable union se déroule sor­di­de­ment, sous nos yeux, comme une consé­quence fati­dique. Puis, brus­que­ment tout s’accélère. La fin de la repré­sen­ta­tion est ellip­tique. Des lumières bleues (la police, les ser­vices ambu­lan­ciers ?) puis jaunes, figurent l’envahissement par les suites qu’on n’avait pas maîtrisées.

Un spec­tacle tendu, animé par une musi­ca­lité sau­vage, des scènes de bru­ta­lité, mais l’ensemble est réussi, maî­trisé, sobre, certes cru et dif­fi­cile, mais tou­jours à la crête de l’incertitude, cher­chant à mon­trer dans un dis­po­si­tif un peu hal­lu­ci­na­toire les points de bas­cule de nos actes comme de nos tendances.

chris­tophe giolito

 

Mon bel ani­mal 

d’après Marieke Lucas Rijneveld 

Réa­li­sa­tion et adap­ta­tion Ivo van Hove

Avec Hans Kes­ting, Eefje Pad­den­burg, Kate­li­jne Damen, Bart Sle­gers, Minne Koole

Adap­ta­tion de l’accompagnement et conseils dra­ma­tur­giques Bart Van den Eynde
Scé­no­gra­phie et éclai­rage Jan Vers­wey­veld
Cos­tumes An D’Huys ; paroles de chan­sons Lucas Rij­ne­veld ; com­po­si­tion des chan­sons Wende Sni­j­ders et Koen van der Wardt ; musique et concep­tion sonore George Dhauw ; concep­tion vidéo Chris­to­pher Ash ; musi­cien Roos van Tuil.

A la Grande halle de la Vil­lette, 211 Av. Jean Jau­rès, 75019 Paris, du 28 au 30 mars 2024, jeudi et ven­dredi 20 h, samedi 18 h, durée 2h20.

Pro­duc­tion pri­vée Mar­celle et Joost Kui­per, Hans Peter Sauer­wein
Avec le sou­tien de Ammodo. Ce spec­tacle est sou­tenu par le Per­for­ming Arts Fund NL.

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