Du Bouchet avance dénué dans la langue qui se prête à l’éloquence. De cette langue-là, il faut partir afin de déboucher le Français qui n’est pas le Français du poète.
Par sa nervosité de trait, par le dépouillement de son écriture, profondément enracinée dans la réalité la plus élémentaire, incluant le vide dans sa progression, l’œuvre de Du Bouchet se rapproche de celle de Giacometti.
Mais le poète était un parleur/lecteur remarquable. Ses interventions étaient rares, mais la clarté de son élocution, les rythmes impulsés au phrasé, l’attention portée aux intervalles, donnaient à ses lectures une intensité particulière.
Cet ouvrage est l’enregistrement d’une lecture donnée par le poète à Marseille, au Musée Grobet-Labadié, en octobre 1983. Du Bouchet lit des poèmes de plusieurs de ses recueils dont Dans la chaleur vacante, Laisses et Ou le soleil. Il ajoute des textes de Mallarmé, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, Reverdy et Jean Tortel empruntées à plusieurs enregistrements radiophoniques ou captés lors de séances de lecture publique reproduites dans les pages de l’ouvrage précédées de trois essais dus à Florian Rodari, Anne de Staël et Sander Ort.
Ses essais complètent les inflexions de sa voix qui s’accordent aux variations du souffle, permettant de comprendre le souci typographique qui caractérisait les éditions imprimées de ses textes. Du Bouchet épure le moindre. S’éloigne de la prose. Il entend plus le silence que le croassement du corbeau. C’est là toute la profondeur de sa quête.
Le second temps (corbeau) renvoie au premier (silence). Restent Le vent, le froid, le vide, la chaleur : quoi de plus compact sinon la durée qui elle-même a ses limites ? Alors, « Mots puisque vous êtes parlez ».
jean-paul gavard-perret
André du Bouchet, Enclume de fraîcheur, La Dogana, Genève, mars 2024, 40 p. — 40,00 €.