Quand le bonheur à tout prix…
En science-fiction l’asservissement des populations par divers moyens est un thème fréquent. Mais, en science-fiction, à part quelques auteurs très visionnaires, les autres s’appuient sur une réalité qu’ils amplifient, déforment, présentent de façon inaccoutumée. Ici, le scénariste, en intitulant la série Utopie, propose une société qui ne tient pas compte de la réalité. Ce néologisme été forgé par Thomas More en 1516, dans la description de la société idéale qu’il présentait dans son livre Utopia.
On retrouve quelques points voisins avec des données de romans qui abordent ce thème mais présentées dans un autre univers, avec un nouvel éclairage, prennent une tonalité novatrice
Will Jones, dans son luxueux appartement, reçoit la visite de deux contrôleurs venant vérifier si Kiss, sa Babe, va bien et si, pour lui, son implant est toujours fonctionnel. L’examen est satisfaisant et on lui annonce qu’il va pouvoir bientôt changer de Babe, d’androïde féminin.
Il travaille à l’académie historique où il est chargé de lisser ce qui concerne le communisme, un parti d’autrefois. Il vit dans une société où tout est beau. Les réfractaires à ce mode de vie sont effacés. Or, pour Will, une rencontre…
Le tome 2 s’ouvre avec un groupe d’hommes masqués qui aide Will à s’évader. Ils l’ont équipé d’un brouilleur d’implant pour effacer sa trace. Non sans mal, ils l’exfiltrent. Un membre du groupe le guide vers une vieille connaissance. Or, sans l’effet de l’implant, la réalité est tout autre. Le magnifique bâtiment dans lequel il travaillait se révèle être en très mauvais état.
Alors que Will se pense en sécurité, il est retrouvé et doit fuir. Sans guide, sans soutien, sans plans, comment peut-il échapper à l’emprise de ce régime totalitaire, aux lavages de cerveaux…
La société idéale imaginée par Rodolphe s’appuie sur deux entités qui apparaissent sur la multitude d’écrans qui meublent rues et bâtiments. Elle évoque une guerre lointaine qui est en passe d’être gagnée à condition que tout le monde reste à son poste, travaille et œuvre dans le même sens. C’est une des techniques employée par tous les dictateurs, identifier, désigner un ennemi commun que ce soit des individus, une nation, une dénazification… L’usage de la menace contre laquelle la population doit se mobiliser et lutter, le groupe terroriste, sont des constantes employées avec profit.
Pour aider à cette uniformisation d’attitude, de pensées, à obtenir une soumission, il faut un seul discours, empêcher les populations d’avoir d’autres avis, d’autres sources d’informations et réécrire le passé. L’éradication des rebelles ou la rééducation sont aussi des moyens efficaces pour obtenir une “union sacrée”. Et Rodolphe met en scène avec un beau savoir-faire, ces outils de tyrannie, puisant dans toute la panoplie en usage, à tout-va, sur la planète Terre.
Griffo assure un graphisme plaisant à regarder. Il propose des personnages réalistes, voire académiques mais donne de beaux décors futuristes, que ce soit les habitations, les véhicules, accessoires. Sa colorisation appuyée sur l’usage du bleu rend une ambiance à la fois glaçante et aseptisée.
Ces deux tomes sur trois révèlent un récit attractif, mettent en scène avec justesse une société où la réflexion est exclue, où les repères manquent. Ce récit est mis en images de manière efficace.
serge perraud
Rodolphe (scénario) & Griffo (dessin et couleur), Utopie — t.01 et t.02, Delcourt, coll. “Neopolis”, novembre 2023, mars 2024, 56 et 48 p. — 13,50 €.