En 1977, paraît aux USA The Women’s Room, un volume signé de Marilyn French. Ce livre fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le puritanisme hypocrite des États-Unis. L’auteure décrit le parcours d’une femme vers la liberté après avoir subi la soumission imposée aux femmes depuis la nuit des temps.
Ce livre, rapidement traduit en français, paraît chez Robert Laffont en 1978 et vient conforter le mouvement de rébellion qui existe depuis déjà quelques années en France. Il aurait été vendu à plus de vingt millions d’exemplaires de par le monde sans compter les prêts entre amies et amis.
Mira se cache dans les toilettes pour dames, ainsi dénommées même si on a gratté la plaque pour réécrire femmes en dessous. Elle a 38 ans et se cache des autres dans cette université qu’elle vient d’intégrer.
Une professeure aime marcher au bord de la mer. Elle est seule et n’aspire pas à autre chose. Elle se revoit à Harvard en 1968 et repense à Mira, à Martha, Lily, Val, Kyla… Parce qu’elle dispose, à la fin de l’année scolaire, de deux mois et demi de liberté, elle décide de mettre par écrit ce que ces voix qui l’habitent, qu’elle entend, lui disent quand elle marche sur le sable de cette côte du Maine.
Et elle débute le récit de la vie de Mira depuis qu’elle était un bébé indépendante, sa scolarité solitaire car, petite fille brillante, elle progressait de classe en classe se retrouvant avec des filles bien plus âgées. C’est la découverte des sensations à l’adolescence, les mises en garde terribles de sa mère, son incompréhension des garçons. C’est la rencontre avec Larry, les premières déceptions quand elle comprend qu’elle ne sera pas libre, qu’il faut qu’elle fasse allégeance à un mâle. Puis vient Norm avec qui elle se marie pour être appelée Madame et pouvoir sortir, appartenant par ce titre à un homme.
Sur les pas de son héroïne (qui a quelques points communs avec l’auteure), celle-ci explicite le système qui amène à opprimer la moitié de la population. Elle décrit les freins, les blocages, les traditions, les habitudes, les carcans institués, voire sacralisés, pour faire des femmes les servantes des hommes. C’est ainsi que Mira se retrouve à occuper un emploi de secrétaire où elle s’ennuie à mourir pour faire vivre la famille pendant que l’époux poursuit des études de médecine.
Elle subit, ainsi, depuis la tendre enfance, des contraintes matérielles, morales, psychiques jusqu’au moment où son époux va demander le divorce pour vivre avec une autre femme qu’il oppressera. C’est ainsi que perdure une sorte d’abêtissement, ne donnant pas aux femmes la possibilité de s’exprimer, de se réaliser, en les confinant à faire des enfants, la cuisine, nettoyer la maison et attendre le retour du “héros”.
Tout est organisé pour maintenir les femmes dans cet état. La littérature dite féminine où l’héroïne va vivre mille douleurs avant de pouvoir se marier, les contes de fées où les princesses épousent les princes pour vivre heureux et… avoir beaucoup d’enfants. Mais ce qui est effrayant, c’est l’émergence, aux USA, de ce mouvement lancé par des influenceuses qui sont surnommées tradwives, qui vantent un modèle traditionnel de femme au foyer comme dans les années 1950.
Dans l’introduction reproduite dans le livre, rédigée par Marilyn French en 2006, elle rappelle : “La seule croyance que partagent toutes les religions du monde et tous les États-nations quel que soit leur système de croyance ou économique, est celle de la domination masculine.” Et Toilettes pour femmes conteste directement cette domination masculine.
Les Éditions Robert Laffont ont une riche idée de rééditer ce livre, dans un format plus accessible, qui a aidé à conforter un mouvement apportant plus de liberté aux femmes. Un document social à lire, à relire et à faire lire !
serge perraud
Marilyn French, Toilettes pour femmes (The Women’s Room), traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Guilhon & Sarah Idrissi, Robert Laffont, coll. “Pavillons Poche”, mars 2024, 720 p. — 13,50 €.