Le spectacle commence dans le noir, au son du violon. Un père et son fils, attachés l’un à l’autre, se promettent de ne pas se séparer. Une mère et sa fille, enchaînées l’une à l’autre on ne sait comment, font pendant. Chacune de ces paires constitue un couple improbable suivant une route déjà définie.
Une rencontre inopinée entre les deux jeunes gens qui n’attendent rien, qui ne se cherchent pas, qui se trouvent avec la simplicité d’un regard qui reconnaît, qui n’exige pas, qui s’échange. Tous deux disent leur émerveillement à la troisième personne, la magie de leurs aspirations secrètes enfin satisfaites. C’est l’occasion de développer des paradoxes sur le bonheur, sur la vie qui nous charme à mesure qu’elle nous échappe. Le texte de Jean Anouilh est frais, alerte, actualisant le mythe d’Orphée et Eurydice en le situant quelque part dans la France d’après-guerre.
Les dialogues interrogent le fait même de la narration, produisant un effet de mise en abyme. C’est une bien belle pièce, une digression sur l’amour, ses fastes et ses turpitudes. Lorsqu’il s’agit de décider, le propos se montre radical : “la vie n’a pas besoin d’intelligence” — au contraire elle suppose de se laisser soumettre durablement avec une certaine bêtise. Ce qu’on appelle la vie, c’est l’absence, la routine et le conditionnement, finalement l’acceptation de la dégénérescence.
Hélas — ou heureusement -, Orphée est déjà trop avisé, il choisit la vérité, contre l’aveuglement. En quoi il est réhabilité : sa méprise n’était que lucidité. Il fallait mourir pour retrouver l’amour.
La représentation est dynamique et édifiante ; elle est servie par une troupe enjouée, colorée, qui prend un plaisir visible à jouer un spectacle réjouissant et plein d’élan : à la fois léger et fort.
christophe giolito
Eurydice
de Jean Anouilh
Mise en scène Emmanuel Gaury
Avec Bérénice Boccara ou Lou Lefèvre, Gaspard Cuillé, Benjamin Romieux, Corinne Zarzavatdjian, Jérôme Godgrand, Patrick Bethbeder, Maxime Bentégeat ou Victor O’Byrne ou Pierre Sorais.
Musique Mathieu Rannou ; lumières Dan Imbert ; costumes Guenièvre Lafarge.
Au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris 01 45 44 57 34
Du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h. Durée 1h10.
Production Compagnie du Colimaçon ; co-production Amap Production ; partenaires L’Athénée, Petit théâtre de Rueil-Malmaison, Théâtre de Poche Montparnasse, Théâtre Online, soutien ADAMI.