André du Bouchet, Enclume de fraîcheur

Capter la rumeur des mots dans la rigueur du vide

Du Bou­chet avança dénué dans la langue mais en se prê­tant (par­fois) à l’éloquence. De cette langue là il faut par­tir afin de débou­cher le Fran­çais qui n’est pas le Fran­çais du poète. Par sa ner­vo­sité de trait, par le dépouille­ment de son écri­ture, pro­fon­dé­ment enra­ci­née dans la réa­lité la plus élé­men­taire, incluant le vide dans sa pro­gres­sion, l’œuvre de Du Bou­chet se rap­proche de celle de Gia­co­metti.
Mais André du Bou­chet était un parleur/lecteur remar­quable. Ses inter­ven­tions étaient rares, mais la clarté de son élo­cu­tion, les rythmes impul­sés au phrasé, l’attention por­tée aux inter­valles, don­naient à ses lec­tures une inten­sité particulière.

Cet ouvrage est l’enregistrement d’une lec­ture don­née par le poète à Mar­seille, au Musée Grobet-Labadié, en octobre 1983. Du Bou­chet lit des poèmes de plu­sieurs de ses recueils dont “Dans la cha­leur vacan­teé”, “Laisses” et “Ou le soleil”. Il ajoute des textes de Mal­larmé, Bau­de­laire, Ver­laine, Rim­baud, Apol­li­naire, Reverdy et Jean Tor­tel emprun­tées à plu­sieurs enre­gis­tre­ments radio­pho­niques ou cap­tés lors de séances de lec­ture publique repro­duites dans les pages de l’ouvrage pré­cé­dés de trois essais dus à Flo­rian Rodari, Anne de Staël et San­der Ort.

Ces essais com­plètent les inflexions de sa voix qui s’accordent aux varia­tions du souffle per­met­tant de com­prendre le souci typo­gra­phique qui carac­té­ri­sait les édi­tions impri­mées de ses textes. Son lan­gage est fait d’un bruit non d’un savoir. Il s’agit de cap­ter la rumeur des mots dans la rigueur du vide, dans le mutisme des glaces.
Du Bou­chet épure le moindre. S’éloigne de la prose. Il entend plus le silence que le croas­se­ment du cor­beau. C’est là toute la pro­fon­deur de sa quête. Le second temps (cor­beau) ren­voie au pre­mier (silence). Il s’agit moins d’émerger du fran­çais que de la matière à dire afin de pous­ser à l’extrémité le temps de la réflexion. Il pré­fère par exemple réfé­rer au passé le futur anté­rieur : à “il s’est pendu” pas­ser à “il se sera pendu”. L’enfant sau­vage est père à venir de tout.

Dans ses textes, sa limite est un trait. C’est aussi une barre. Pour prendre au jour le mot. Il s’absente en sa marche dans le quel­conque et le temps de débâcle en débâcle qui, à sa façon, ne sert pas les dic­tion­naires. Le vent, le froid, le vide, la cha­leur : quoi de plus com­pact sinon la durée qui elle-même a ses limites ? Alors, « Mots puisque vous êtes par­lez ». Bruit. Ecoute. Sau­va­ge­rie. Prendre la las­si­tude au lasso. Il n’y a pas de but mais un che­mi­ne­ment. Une ouverture.

jean-paul gavard-perret

André du Bou­chet, Enclume de fraî­cheur, La Dogana, Genève, mars 2024, 40 p. — 40,00 €.

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