La curée
J’aime l’écriture d’Anne Létoré. Maîtresse femme de la poésie, elle manie la langue avec ironie, impertinence tout en cultivant douceur et alacrité. Elle invente des « images » pour imager comme « une une vaste soierie transparente, accrochée à une corde à linge, valsant sous un vent étésien, rafraîchissant et aérien ».
Ici, elle change de programme, au besoin « sentant le coup de pute ». Elle dit commencer à prendre de l’âge mais garde une affriolante jeunesse quelles que soient ses activités et objectifs jusqu’à, ici, son « dernier GRAND reportage culturel ! ». Elle procède par destinations car elle doit connaître le monde et pratique parfois en terres religieuses le denier du cul-te.
Et qu’importe l’enfer des autres, elle s’accompagnes d’escogriffes et aussi d’« Un père toujours parti. Une mère toujours hystérique. Des frères et sœurs en pagaille”. Mais elle a toujours rêvé et nous le fait partager, allant partout pour une rencontre papale, la bibliothèque de l’Enfer , la Chapelle Sixtine, l’impact économique de la sauce tomate et diverses divagations pleine d’humour.
S’il le faut, elle cherche des figures diaboliques dans les circonvolutions du marbre, mais ne s’arrête pas là. Car la voyageuse sait dégoter ce qu’elle partage, faisant prêcher le vrai comme le faux. Dans sa douceur d’écriture « à la rondeur du vin de figue et les pépiements aigus des oiseaux », elle épouse et partage une tendre harmonie gustative — amour compris.
Sa « langue râpe la chair, s’enroule, se déroule, caresse les dents pour goûter jusqu’à la plus infime goutte de crème. Les yeux fermés, une image de fellation se superpose. Je souris.» Bref, tout n’est que félicité, luxe, calme et volupté. Quitte à saluer, avec une obséquiosité digne des plus grands fayots de l’histoire. L’Italie est désossée selon un art consommé pour retrouver l’histoire de l’art, Michel-Ange compris — mais il n’est pas le seul, tant s’en faut !
Des corps flottent en un ciel bleu jusqu’aux fausses Cicciolina « au décolleté aussi profond qu’un canon de silencieux ». Son éducation artistique se remplace au besoin. Avec ses parents mais bien d’autres, la voici sorcière à sa manière. Certes, elle se « sent » l’âme chaste et l’ esprit pur — mais pas que. Elle fait bois (euphémisme) de tout feu et sait distiller sa douce obscénité.
A nous, lecteurs, cette induction et son confort au sein même du bilan de sa vie gorgée de confidences grivoises, drôles, voire pathétiques. Mais d’une certaine façon, elle en n’a cure, de Rome à Bombay, Wellington, Bruxelles, Pékin ou comme à Ostende d’Henri Bauchau. Elle sait filer à l’anglaise derrière la vitrine d’un salon de thé british avant de s’envoyer à sa façon en l’air. Une telle cocasserie concasse ses mémoires et ici jamais un tel potage n’a à refroidir.
Cela sent le souffre où se soulèvent des jupes, se baissent des culottes. Où des hommes œuvrent aussi. Et grâce leur soit rendue. Là où d’une femme elle ose regarder le cul tant pour «l’incongruité de la situation que pour l’érotisme qui s’en dégageait. ». L’éducation sexuelle devient parfois un fameux cocktail. Les mots éclaboussent. Jamais bouche cousue n(est ouverte.
Anne Létoré nous rend aussi gourmands qu’elle au besoin, en outrepassant une certaine politesse. Mais l’auteur sait manier juste des mots de mots justes. Et un tel livre de cette trop brillante auteure devient toujours nouveau. Il éblouit et jaillit. Le délice est un paradis terrestre. Enfer qu’importe. Avec elle, Entrez !
jean-paul gavard-perret
Anne Létoré, Il fait trop chaud pour se tenir la main, Éditions Douro, collection La Bleu Turquin , Paris, 2024, 220 p. — 19,00 €.