Imprévisible jusqu’aux dernières pages
Ce roman propose une approche bien différente de celle que l’on trouve généralement en matière de polar. En effet, l’auteur, sans négliger le criminel, porte son regard, et le nôtre, sur ses proches, sur ceux qui composaient son environnement familial et social, plus quelques autres qui viennent s’agréger dans le cours du récit.
C’est dans un état comateux que Carol Drever sort du tribunal où William, son époux depuis vingt ans, a été condamné pour avoir tué et éventré trois prostituées. Son avocat la ramène chez elle où Liz, sa sœur aînée, la prend en charge. Elle exprime son incompréhension. Qu’est-ce qui l’a poussé à faire cela ? Pourquoi ? Personne ne comprend et personne n’avance d’explications.
C’est dans ce contexte que se présente Jones, le patron de l’entreprise où William était devenu directeur financier. Il vient annoncer que celui-ci piquait systématiquement dans la caisse depuis des années. Ils ont conclu un accord pour ne pas aller en justice. La maison familiale, et tout ce qu’elle contient, est devenu la propriété de l’entreprise et William s’est engagé à la libérer dans le délai d’un an. Le compte bancaire est à découvert. Carol comprend alors le train de vie qu’ils menaient, la salle de bains luxueuse, les vacances, la maison en Cornouailles…
Face à cette accumulation Carol tente de s’ouvrir les veines. Mais, quand arrive, reçue par Liz, Ruth Linley qui se présente comme la mère d’une des filles assassinées…
Mettant les proches en avant, John Wainwright détaille leurs réactions, leurs façons d’aborder la situation, la manière dont ils font face. Dans un premier temps le romancier s’intéresse aux membres de la famille, à Carol son épouse, à Liz, aux enfants Anne et Robert, ainsi que Bill et Mary Drever, les parents de William.
Liz a intégré le foyer, il y a vingt ans juste avant l’arrivée d’Anne. Depuis, elle est restée, assurant un rôle de gouvernante. Anne poursuit des études et Robert veut devenir l’Architecte du siècle, celui qui restera dans les mémoires pour ses innovations. Bill et Mary occupent une belle place en tant que parents du criminel, responsables de son éducation, mais pour qui il reste leur fils. Celui-ci à une sœur, Babs qui, aux yeux de tous, ne vaut pas mieux que son frère, collectionnant les maris et ayant une vie mouvementée dans le milieu de la création télévisuelle.
Après la sidération, l’incompréhension, est venu le temps de l’interrogation pour tenter de comprendre. Et chacun se pose des questions car le caractère de William ne laissait pas supposer qu’il puisse accomplir de tels actes. Et les inimités émergent, le ressentiment, qui, vite, se transforment en conflits, rejetant les responsabilités sur les uns et les autres par rapport aux situations. Les parents de William, par exemple, ont toujours pensé que leur fils était trop bien pour Carol. C’est également un portrait détaillé de chacun avec son mode d’existence, son parcours, ses qualités et défauts.
L’auteur raconte la traque de journalistes avides de sensationnel, les regards des autres sur les proches d’un assassin, un boulet pour les enfants dont le patronyme rappellera longtemps celui d’un assassin.
Le romancier ne se prive pas d’émettre des remarques sur sa perception de certaines situations. Il évoque, ainsi, la réputation de Sacré gaillard acquise par l’homme qui lâche sa semence dans de nombreuses femmes alors que celles-ci se font taxer de Traînées. Il sème, dans le cours de son histoire, des réflexions truculentes comme celle relative à un ministre de l’Intérieur, sur les hommes qui n’ont pas assez de jugeote pour remplir un dé à coudre, sur les experts en sociologie…
Une écriture maîtrisée, un style enlevé, des dialogues percutants, mais proches de ceux de la réalité avec les hésitations, les débuts de mots, de phrases, les silences… passant rapidement d’un personnage à l’autre donne une belle tonicité au récit.
Les trois meurtres de William Drever se révèle un fabuleux roman pour son approche innovante, sa galerie de protagonistes tous attractifs, sa succession de coups de théâtres et son dénouement d’une belle originalité.
serge perraud
John Wainwright, Les trois meurtres de William Drever (The Distaff Factor), traduit de l’anglais par Clément Baude, Éditions 10/18, coll. “Polar”, février 2024, 312 p. — 8,60 €.