La Collection Julie Crenn : A L’intérieur

Julie Crenn, l’art en mou­ve­ment ou la ques­tion du point de vue

A qui veut — et pour pas cher étant donné les prix des livrets magni­fiques — rache­ter des « trous » dans la connais­sance de l’art contem­po­rain, Julie Crenn pro­pose des « mono­gra­phies » par­ti­cu­lières. Elles per­mettent de sor­tir des cages où l’art contem­po­rain s’enferme avec les sem­pi­ter­nels mêmes noms-clés. Mêlant le blanc au noir la cri­tique décou­rage les san­glots longs qui accom­pagnent une pré­ten­due mort de l’art. Julie Crenn en gra­vit la chute, ne prend pas cer­tains déclics pour des claques. Elle prouve qu’Anne Cin­dric (artiste géniale), Rohan Graeffy (idem), Erwann Venn, Adrien Ver­mon ou encore Bea­trice Cus­sol sont des enfants de Plo­tin. Ils empêchent de dor­mir en rond comme un chien de fusil. Ils atteignent le dur du rare, grattent le gras des images pour qu’en renaissent la conscience et une sen­si­bi­lité aux images mères.

Julie Crenn ajoute ses pointes d’eau de vie à des œuvres aux­quelles elle pro­pose bien mieux qu’une ana­lyse stan­dard. Il est vrai que la cri­tique est un écri­vain. Elle montre les enfers où de telles œuvres trouvent leur sub­stance. En bou­chère bien­veillante, ses cou­teaux (et la scie pour les os) sont les armes d’une approche per­ti­nente. Elle met à nu le tra­vail de remo­de­lage comme les palettes, les filtres des pro­ces­sus de divers ima­gi­naires. Julie Crenn fait preuve d’un regard aussi dis­tan­cié que chi­rur­gi­cal. Comme Bram van Velde, elle aime par­fois la pein­ture uni­que­ment « parce que c’est plat ». Mais elle ne cesse de mettre en garde contre les appâts rances et change non seule­ment l’eau mais sur­tout les pois­sons des aqua­riums de la post­mo­der­nité.
Cher­chant tou­jours à maî­tri­ser les para­mètres liés à la ques­tion du point de vue, elle détruit le tom­bal, le velouté comme les pures gémo­nies qui tiennent sou­vent lieu d’analyse. La cri­tique ne craint pas l’orage que peuvent entraî­ner ses choix. Elle s’asseoit sans scru­pules sur les marches du prêt-à-penser. Preuve qu’elle est gênante : on la tait — sauf à quelques excep­tions près (Art-Press par exemple). Se rap­pro­chant de quêtes extrêmes qui ne cultivent pas un souci du déco­ra­tif, l’auteure reste à ce jour le modèle même d’une cri­tique consé­quente. Elle montre com­bien l’art pos­sède des res­sources inépui­sables mais elle rap­pelle que pour s’en empa­rer les artistes doivent aller au bout de leurs angoisses (d’où le titre de sa col­lec­tion « A l’intérieur ») dans un tra­vail qui les méta­mor­phose. Le tout en un uni­vers désta­bi­li­sant mais non dénué de dou­ceur. C’est d’ailleurs cette double pos­tu­la­tion que Julie Crenn cultive et recherche chez les artistes qu’elle retient et défend.

jean-paul gavard-perret

Col­lec­tion Julie Crenn – A L’intérieur : Adrien Ver­mont, Béa­trice Cus­sol, Erwann Ven, Anne Cin­dric, Rohan Graef­fly, Edi­tions Der­rière la salle de bain, 2013

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